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Category: Ecrivains de Normandie

Gilles Perrault, Les deux Français

By admin, 30 décembre 2010 10:35

Et les corps sauvaient tout cela…

« Les corps sauvaient tout cela, écrit à peu près Montherlant à propos d’une réunion mondaine où il se rasait. » Et le corps, en effet, prend une place inédite dans le dernier ouvrage de Gilles Perrault. De cet ensemble aux facettes multiples, publié par l’auteur du Pull-over rouge et des Gens d’ici, on attendait bien sûr l’Histoire, l’espionnage, l’engagement politique.

Mais c’est l’ironie qui nous surprend, dans ce recueil de petits récits, tous également rapides et efficaces. Que l’Enfer soit individuel ou collectif, la dimension dérisoire des existences éclate, page après page. Les personnages existent en fonction, surtout, de ce qu’ils ne sont pas. Marianne est-elle une femme légère ou une héroïne moderne, nouvelle Boule de suif ? René un héros de la Résistance ou un homme simple emporté par les événements ? Des rencontres fortuites révèlent l’absurdité des destins et des lettres d’adieu préparent un départ certain pour le néant : « Toute vie est bien entendu un processus de démolition. » Il y a des traîtres par hasard (« C’est sa faute à lui, sa faute à elle, c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne ») et des héros par hasard. Le doute hyperbolique s’étend sur ces grands ou petits univers.

Les guerres elles-mêmes passent, laissant les hommes endoloris, mais sans certitudes : « Je me serais cru à une réunion des anciens combattants de mon village normand, naguère, quand les poilus de 14-18 regardaient de haut leurs cadets de 39-40 dont la conduite au feu paraissait pour le moins critiquable, les deux catégories s’accordant néanmoins pour considérer comme moins que rien les anciens d’Algérie qui n’avaient participé qu’à des opérations de « maintien de l’ordre » et non à une vraie guerre. » Hiérarchie dérisoire des douleurs et des peines : la guerre elle-même, et la mort aussi, échouent dans l’ère du soupçon.

Que reste-t-il, après tout cela ? Le corps, qui n’est pas bien sérieux, avant ou après dix-sept ans. Qui erre inassouvi, ou se laisse porter par des pulsions parfaitement avouées. S’il faut que le corps exulte, il rappelle surtout les hommes à la raison, et à l’inévitable issue de toute chose.

Les deux français… et autres récits, de Gilles Perrault, Paris, Fayard, septembre 2010, 290 pages, 19 euros.

 Gwenaëlle Ledot.

Article paru dans le Normandie Magazine N°240 - décembre 2010. 

 

 

 

Loïc Herry, Crise de manque

By admin, 30 novembre 2010 8:20

Éditer la poésie.

L’édition de la poésie en France demeure le fait des grands éditeurs généralistes tels que Gallimard, Le Seuil, Flammarion, Mercure de France, ou d’autres plus spécialisés (Seghers ou Verdier). Parallèlement, et avec passion, gravitent un grand nombre de petites maisons d’édition, parfois sous forme associative, qui ont à cœur d’ouvrir leur portes à de jeunes auteurs. Loïc Herry a bénéficié de ce soutien, lorsqu’en 1991 François David, fondateur des éditions MØtus, décide de publier son recueil Éclats. Basée dans le Cotentin, à Urville-Nacqueville, cette maison d’édition, dont l’activité principale est la littérature de jeunesse, continue depuis plus de vingt ans à publier des poètes. Outre Loïc Herry et François David, on retrouve au catalogue Michel Besnier, Marc Solal et Guy Allix.

Dans sa postface au recueil Crise de manque, Arlette Albert-Birot rend hommage aux nombreuses revues qui contribuent, elles aussi, à perpétuer la mémoire des poètes : Traces, Noir et blanc, Digraphe… Parole tenue, parole ténue, divin opium. « C’est un écho redit par mille labyrinthes… »

« C’est la couleur, c’est la parole du monde, déchirant doucement les teintes de l’automne. » (Loïc Herry, Crise de manque)

Aujourd’huier…

« Aujourd’huier

La bruine mouvement gris

Perles de lumière sur le pavé

Du marché. »

D’hier, d’aujourd’hui, Loïc Herry nous parle. Le jeune homme, le poète, est décédé d’un cancer à l’âge de 36 ans. Mais les textes cheminent. En 2003, une maison d’édition du Québec (Écrits des Forges) publie le recueil Ouest. Aujourd’hui, en 2010, les éditions Dumerchez font paraître Crise de manque, mosaïque de sensations, hymne à Christel, sa compagne. Éclats vibrants dédiés au pouvoir du mot. Car « Rien ne finit jamais. »

Ses amis continuent, eux aussi, à écrire et à dire la vie de l’écrivain : un autre grand auteur normand, Guy Allix, a consacré à son confrère, « ce passant considérable » quelques pages précieuses. « La voix épouse les paysages, tout à tour plus douce, comme légèrement vallonnée, ou plus rauque, à flanc de falaise. » (guyallix.art.officelive.com)

Et Loïc Herry passe, dans les rues de Cherbourg, la pointe de la Hague, les hameaux du Perche. Sentant, ressentant, en cristal, laissant les choses et les êtres le traverser et emprunter sa voix.

« Mon doigt d’enfant dessinait des voyages

Sur les pages vivement colorées

Du plus petit atlas du monde. »

Loïc Herry a voyagé. Ne cherchant pas le monde, ou le pays, mais bien plutôt le mot et la sensation : de New-York à Tahiti, de Florence à Cherbourg. « Là-bas où il n’y a rien. »

Une voix clouée sur une porte ? La touche obstinée de son écriture perdure aujourd’hui, par le recueil Crise de manque. La juste préface d’Hubert Haddad nous le rappelle : le poète est le seul vivant. Qui oublie la parole des hommes ; se laisse guider par le chant des choses.

« Ecoute !

-          Comme si un dieu devait parler

Comme si tu étais celui qui doit entendre »

 

Car rien ne finit jamais.

 

Loïc Herry, Crise de manque, éditions Dumerchez, 2010, 59 pages, 17 euros.

Gwenaëlle Ledot.

 

 

Article paru dans le Normandie Magazine N°239 - octobre-novembre 2010. 

Les couleurs de l’instant. Nouvelles impressionnistes

By admin, 12 septembre 2010 11:01

… l’impressionnisme littéraire… 

L’impressionnisme littéraire existe-t-il ? Voilà la question-défi à laquelle sont sommées de répondre quelques fines plumes normandes. Le recueil de nouvelles Les Couleurs de l’instant décline leurs essais variés : « De beaux et grands ciels tout tourmentés de nuages, chiffonnés de couleur ».

L’ouvrage est inauguré par les carnets d’Eugène Boudin. Vient ensuite Michel Bussi. Fidèle à l’énigme, l’auteur poursuit des ombres : c’est Anaïs Aubert quittant Paris pour Veules-les-Roses (les débuts d’un village qui « s’honfleurise… ») C’est aussi Victor Hugo, attaché à jamais à la terre normande.

Sous l’égide d’Yves Bonnefoy et de François Cheng, Anne Coudreuse peint les couleurs mouvantes de la rencontre amoureuse : une table, des mains, des livres, une chambre d’or. « Iseut est seule, et ceux qui viennent sont obscurs ». L’évocation est là, en suggestion impressionniste.

À la croisée, d’Hubert Heckmann, décline l’art, la nature, l’amour. Enchevêtre les tableaux et les jardins. Les sentiments laissent un petit goût amer, derrière un bow-window, derrière la nature reconstruite. Une Verdurin contemporaine y laisse filer l’amour, laisse naître la mélancolie sereine d’un spectateur de sa vie.

Et d’autres encore : Max Obione, à Paris en 1893. « Des feuilles vert tendre décoraient les arbres des rues. Dans l’agitation de la gare, les couleurs se mélangeaient, se divisaient, des floues, des nettes, des bleus, des mauves, des jaune soufre, des rouges, des gris… » Récit fin de siècle, fond d’absinthe et cruauté.

Cette question, enfin : « Et si plus rien n’était possible après ? Et si l’impressionnisme était un sommet, et surtout, la fin du paysage en peinture ? »

Réponse d’Eugène Boudin : « J’ai la tête gonflée de préoccupations et ne fais rien qui vaille. Métier bien difficile. »

Les Couleurs de l’instant. Nouvelles impressionnistes, textes choisis et présentés par Céline Servais-Picord, Tony Gheeraert, Hubert Heckmann, éditions des Falaises, 320 p., 14 €.

Gwenaëlle Ledot.

Acticle publié dans le Normandie Magazine N° 237 - juillet 2010.           

Philippe Huet, Dribbling

By admin, 13 juillet 2010 16:41

Du foot !

La bonne surprise, exclusivement normande, du moment : une histoire de foot née sous la plume de Philippe Huet, auteur renommé de polars.Le ton est donné par une petite phrase de Peter Ustinov : « Les Anglais ont inventé beaucoup de sports, car dès qu’ils se sentent dépassés dans l’un d’entre eux par une nation étrangère, ils en inventent un autre. »C’est en 1872. Godefroy Pouillès, originaire du Bordelais, s’ennuie à mourir dans la ville du Havre, incapable qu’il est d’apprécier à leur juste valeur les menus plaisirs locaux : la cuisine typiquement normande du père Théodule, « religion culinaire à triple facette normande : beurre, crème, fromage. Le reste, dans l’assiette, n’est qu’ornement décoratif », ou encore les délices de l’hiver en région havraise : « Des pluies froides et des vents en tempête qui finissent par vous tordre les nerfs et vous donner des coups de gongs dans la tête. »Ledit Godefroy verra cependant son attachement modéré à notre belle région croître de jour en jour et de page en page. Au point d’ailleurs de délaisser l’été bordelais pour la douceur des jours normands : « Un été de grand Ouest. Avec ses saveurs marines, et ses coups de vent qui déboulent sans prévenir. Matinées fraîches, soirées frissonnantes. Et au milieu, de belles journées légères, qui ne voient pas le ciel vous tomber dessus comme du plomb. » Cette évolution, par la grâce du foot. Notre horsain assiste un jour à un spectacle incroyable : bagarre, massacre, meute en folie, bande vociférante : « Douze débiles, anglais de surcroît, qui se tabassent pour une balle, ce serait un peu fort, non ? » C’est le football, qui n’a pas encore de nom, qui n’a pas encore de règles, qui oscille entre dribbling et hand-ling. Le football qui naît, dans une pleine fraîcheur et dans l’enthousiasme : soccer ? football-rugby ? Le foot se cherche un nom.Une histoire passionnante commence là : histoire de passionnés, une histoire passionnelle, qui fait oublier les pires travers du sport contemporain. Pour ceux qui aiment le foot; et pour les autres, surtout.Dribbling, Philippe Huet, éditions Rivages, mars 2010, 222 pages, 17 €.Gwenaëlle Ledot

 Acticle publié dans le Normandie Magazine N° 237 - juillet 2010. 

          

Belinda Cannone, La Tentation de Pénélope

By admin, 5 avril 2010 16:09

Maudites Pénélopes !


Cela commence bien, ici : les premières pages de l’essai invoquent l’amour et l’homme désiré ; vibrent de l’affirmation d’un corps, vivant et séducteur. Mais l’horizon, vite, s’assombrit. Car Belinda Cannone questionne les représentations de la féminité en ce début de siècle. Et relève l’étonnante persistance de conceptions rétrogrades : la croyance en une « essence » de la femme, associée à la maternité et à son cortège de valeurs fantasmées : douceur, sollicitude, sacrifice…

Petit rappel, pas inutile, du chemin parcouru : on accorde à la femme le droit de disposer de son salaire (1907) et de passer le bac dans les mêmes conditions que les garçons (1924) ; puis le droit de vote (1944) et enfin l’accès à la contraception (1967) et à l’avortement (1974). Conquêtes encore récentes. Symboles, aussi, d’un espoir universel : de l’Inde au Brésil, l’essai rend hommage aux femmes qui se battent.

Mais au moment même où l’espoir grandit, certaines, telle Pénélope, entreprennent de tirer sur le fil… et de défaire le travail accompli par les générations précédentes.

En ce début de vingt-et-unième siècle, la tentation est grande en effet de renvoyer les femmes au maternage et aux soins du foyer. Quant aux hommes, une enquête du Monde datée de 2009 montre qu’ils continuent à concevoir leur contribution à la vie de famille comme « subsidiaire ».

Sans se départir jamais d’une posture dansante et spirituelle, Belinda Cannone argumente, approfondit, dénonce : « J’accuse une certaine forme de féminisme - qu’on appelle le différentialisme - d’être rétrograde et préjudiciable à la cause des femmes ». Qu’est-ce que le différentialisme ? « En deux mots : croire que, du fait du déterminisme biologique, les femmes seraient d’une tout autre nature que les hommes, et en tirer toutes sortes de conséquences… »

L’idée-force du texte vise à « s’affranchir des particularismes culturels, religieux, nationaux ou sexuels dans la définition du citoyen. » L’exigence de l’auteur semble, somme toute, fort raisonnable : être considérée comme un individu, une personne avant tout, et non d’abord une femme; ou encore, suspendre la question du genre. Défendre une position universaliste, seule garante de la liberté : « Mesdames, vous êtes des personnes ! »

Belinda Cannone, La Tentation de Pénélope, Stock, janvier 2010, 214 p., 18€.

Gwenaëlle Ledot

 Article paru dans le  Normandie Magazine N°235, avril 2010.

Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez !

By admin, 2 février 2010 14:37

Je vois Satan tomber comme l’éclair

« Nul n’est à l’abri de l’abominable. Nous sommes tous capables du pire ! » : la quatrième de couverture donne le ton du dernier roman de Jean Teulé, et pose sans suspens la question centrale du roman : pourquoi ? Pourquoi ce déchaînement barbare, insensé, gratuit ?

La trame, nous la connaissons tous : l’auteur s’est inspiré d’une anecdote historique, ancrée dans le Périgord du dix-neuvième siècle. Un jeune noble apprécié de tous, Alain de Monéys, se rend au village de Hautefaye, à quelques kilomètres de chez lui, où il se plaît et où il n’a que des amis : « Une bien belle journée ! » Quelques heures plus tard, sur la base d’un malentendu prétexte, les villageois l’auront battu, torturé, brûlé vif… et mangé. Horreur absolue que Jean Teulé ne va pas nous épargner : les lecteurs sensibles devront s’abstenir. Pas à pas, chapitre par chapitre, lieu par lieu, le chemin de croix d’Alain de Monéys nous est décrit, inéluctable. L’horreur se fait grandissante, presque grand-guignolesque. Le lecteur est partagé entre un écœurement fasciné, une légitime admiration pour la maestria de l’auteur, et la crainte du voyeurisme rampant…Les obsessions littéraires de Teulé, perceptibles depuis Villon et Verlaine, trouvent un chemin d’expansion : le cannibalisme, la torture, le sadisme. Mais elles sont servies par un style magistral qui jongle entre l’épure et le baroque, la sobriété et l’excès. Teulé semble traquer par son questionnement barbare les confins de l’âme humaine, sans jamais en percer le mystère de noirceur.Il serait injuste et facile de reprocher à Teulé, comme on l’a souvent fait, la gratuité de l’horreur, tant le récit parvient, par sa violence même, à poser de bonnes questions. Peu importe que celles-ci ne trouvent pas de réponses définitives. Les pistes d’explicitation à ce déferlement de haine sont, une à une, esquissées, puis balayées: xénophobie et climat guerrier (Alain est pris pour un Prussien), misère sociale, superstition (les paysans redoutent « le lébérou »), hystérie collective… De façon éclairante, Jean Teulé cite un essai de René Girard sur Le Bouc-émissaire. Cependant, aucune explication rationnelle ne parvient à rendre compte de la folie meurtrière et barbare. Le procès du village-criminel est à cet égard édifiant, et les paroles des coupables font frissonner : « J’ai perdu la raison », « Je me suis laissé entraîner », « Fallait-il qu’on soit tous perdus… »Je vois Satan tomber comme l’éclair est le titre d’un autre ouvrage de René Girard : au-delà de la psychologie des foules, qui fascine et questionne sans relâche l’œuvre de Teulé, le mystère du Mal humain reste entier.

Mangez-le si vous voulez, de Jean Teulé, éditions Julliard, mai 2009, 131 pages, 17 €.

Gwenaëlle Ledot

Article paru dans le Normandie Magazine N° 230 Eté 2009           

 

 

 

 

 

Jacques-Pierre Amette, Journal météorologique

By admin, 31 janvier 2010 10:59

Un été chez Amette

 

On ne présente plus Jacques-Pierre Amette, même pas en tant qu’écrivain normand (1) : critique littéraire au Point, il a longtemps voyagé en compagnie choisie : Brecht, Hölderlin, Voltaire… La Maîtresse de Brecht obtient un prix Goncourt surprise en 2003. Depuis, le succès de Jacques-Pierre Amette, critique, romancier, dramaturge, ne se dément pas.L’été 2008, Amette l’a passé dans un village breton : vue sur la mer, prégnance élémentaire. Depuis longtemps l’auteur pressent que l’essentiel est de ce côté. « Lumière forte, horizontale, divine, qui s’étale. Au loin les rochers blanchissent et bouillonnent (…) Bouffée de vents tièdes. »Le flic très spécial du Lac d’or (paru en 2008) était en quête, déjà, de la « fontaine lumineuse » des jours passés. La substance des éléments prend le pas sur les jeux des hommes. Ce Journal météorologique permet à Amette d’aller jusqu’au bout de ses certitudes : «Il y avait autre chose, il y avait autre chose d’irréductible, de fidèle. La terre s’obstinait à durer et persévérer au-delà des regards humains. » (2)

Diariste de l’éternel et de l’élément, Amette se livre dans ce journal si particulier à la contemplation. Y participent Ariane, à la vénusté antique et marmoréenne – et l’Écrivain, visiteur du soir, Swann de circonstance. Les deux compagnons d’Amette ont le goût de tenir leur rôle à la perfection : conversations littéraires et doucement embrumées, visites vespérales pour l’un ; sensualité de muse et jupe vichy pour l’autre. L’écrivain, proustien jusqu’à la plume, « achète une botte d’asperges pour la décrire ». Au-delà des notations subtilement décalées, une amitié empathique s’écrit. Un été chez Amette, c’est un été parfait, anéantissement des contingences, résurgence des nécessités. Une prose poétique à découvrir. En épigraphe, Baudelaire, d’ailleurs : « Le monde stupéfié s’affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de son anéantissement. »

Journal météorologique, de Jacques-Pierre Amette, éditions des Équateurs, mars 2009, 153 pages, 16 €.

(1) Jacques-Pierre Amette, in Écrivains de Normandie, numéro spécial de Normandie Magazine, 2007.
(2) Un été chez Voltaire, Jacques-Pierre Amette, Albin Michel, 2007.

Gwenaëlle Ledot

Article paru dans le Normandie Magazine ° 229, mai-juin 2009. 

 

 

Didier Decoin, Est-ce ainsi que les femmes meurent ?

By admin, 30 janvier 2010 11:35

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Le dernier roman de Didier Decoin est un aboutissement romanesque autant qu’un immense succès : la vie d’une femme s’inscrit, tragique, dans une réflexion humaniste. À ce titre, l’héroïne, Kitty, prend place près de Babe Ozouf et Sarah MacNeill, silhouettes pérennes dans les mémoires des lecteurs (1).Le roman s’inspire d’un fait divers. Mars 1964 : quelques mois après l’assassinat de JFK, Kitty Genovese meurt poignardée dans le Queens. Dix-sept plaies et une lente agonie. Ce n’est pas la mort sordide d’une très jeune femme qui retient l’attention des journalistes du New York Times, mais la présence physique et l’absence morale des témoins : trente-huit habitants de l’immeuble ont entendu les cris de détresse de leur voisine, et son martyre de trente minutes. Ils n’ont pas appelé la police.L’auteur ne connaît pas le pathos ; le style est épuré et minimaliste. Le roman, àl’issue connue, fait l’effet du meilleur polar. Les points de vue croisés tissent les destins, une tragédie grecque est en marche. Mais aucun dieu n’aurait pu sauver ni condamner Kitty ; son sort dépend des humains, et c’est à ce moment que les humains manquent aussi. Citation d’Einstein en épilogue : « Le monde est un endroit redoutable. Non pas tant à cause de ceux qui font le mal qu’à cause de ceux qui voient ce mal et ne font rien pour l’empêcher. »Au-delà de l’étude psychologique et la « dilution » de la responsabilité, Decoin pose des questions éternelles et nécessaires. La meilleurefiction au service d’une profonde humanité.« Ce fut […] au petit jour que dans ton cœur un dragon plongea son couteau. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » (2)
Est-ce ainsi que les femmes meurent ? Didier Decoin, Grasset, février 2009, 227 pages, 17,90 €.(1) Les Trois Vies de Babe Ozouf et La Promeneuse d’oiseaux. Voir la notice consacrée à Didier Decoin dans Écrivains de Normandie, numéro spécial de Normandie Magazine, 2007 : « Celui qui aimait la tempête ».(2) Louis Aragon, cité par Didier Decoin en épigraphe du roman.

Gwenaëlle Ledot

Article paru dans le Normandie Magazine ° 229, mai-juin 2009. 

 

Jérôme Garcin, Les livres ont un visage

By admin, 3 janvier 2010 15:48

Une grande famille.

Rappelons-le, non sans plaisir : Jérôme Garcin est un écrivain normand. Le numéro spécial de Normandie Magazine, Écrivains de Normandie, a consacré, il y a quelque temps, une notice à l’auteur de la Chute de cheval (prix Nimier en 1998), au maître d’œuvre du Masque et la Plume, au critique littéraire du Nouvel Observateur, au spécialiste de Jean Prévost.

Son dernier ouvrage, Les livres ont un visage, évoque sa famille en littérature. Des visites rendues, des rencontres amicales et admiratives avec Éric Holder, Jonathan Littell, Sempé, d’autres encore. Garcin recueille les réflexions, les confidences et les lectures. Il est question des livres, de tous les livres.L’ouverture de l’opus commence avec d’autres grands, pas tout à fait disparus, et nous fait pénétrer, de façon fugace et frustrante, dans l’intimité de quelques-uns : Paul Morand nous emmène chez Marcel Proust, fait découvrir le champagne tiède, les pommes frites préparées par Céleste, les « yeux orientaux » de l’écrivain. Nous retrouvons Alphonse Daudet, malade et soutenu par le même Proust; Françoise Sagan prenant soin de Sartre vieillissant. Ronde infinie, où les uns croisent les autres, où les nouveaux citent les anciens…Les époques et les genres s’y mêlent avec gaieté et respect: Éric Holder chantonne du Vincent Delerm. Jonathan Littell évoque Kafka. Julian Barnes vénère Flaubert et Mallarmé.L’autre guide de l’ouvrage, dont la présence parcourt les pages en fil d’Ariane, c’est le père de Jérôme Garcin: Philippe Garcin, l’éditeur, l’ami des écrivains, l’initiateur au monde du livre.Des figures se succèdent, étonnantes ou émouvantes: Jonathan Littell, en ange noir, décidément. Patrick Rambaud en sa Normandie : la Manche argentée de Trouville. Julien Gracq se refuse à écrire « le livre de trop » et vit sereinement ses jours de « retraité intégral ». La figure mystérieuse de J.M.G. Le Clézio, éternel voyageur revenu en sa Bretagne. On découvre Gabrielle Wittkop, l’étonnante « vieille dame indigne » ; on redécouvre Régis Jauffret. Garcin redessine la silhouette de Zouc, ses farces grinçantes, son humanité.Chapitre « Un philosophe dans la nuit » : Il s’agit de Clément Rosset, qui prend soudain les traits du Vladimir de Godot. Jérôme Garcin nous rappelle à son œuvre, littéraire et philosophique, forte et désillusionnée. Nous apprenons, par hasard, que l’auteur du justement célèbre Traité de l’Idiotie est normand, lui aussi : « Dehors, une pluie normande n’a pas cessé de tomber sur Paris. Clément Rossé jauge en souriant sa vieille amie. C’est un natif de Carteret, un nageur d’eau froide, un tutoyeur de vent. »

Julien Gracq est mort le samedi 22 décembre 2007: pour tous les amoureux d’Argol et des Syrtes, un phare s’éteint : « On s’enfonce dans le temps comme on fonce dans le brouillard. Nous reverrons-nous ? Je ne sais. » (extrait d’une lettre écrite à Jérôme Garcin en 2004). Julien Gracq est parti, doucement. D’autres restent, d’autres viennent…

Une douce mélancolie illumine ces pages… C’est le monde, et ce n’est plus tout à fait le monde. Plutôt la lumière tiède d’un bureau, le clair-obscur d’une bibliothèque. C’est Jérôme Garcin qui vous invite.

Jérôme Garcin, Les livres ont un visage, éditions Mercure de France, décembre 2008, 234 p., 17 €.

Gwenaëlle Ledot.

Article paru dans le Normandie Magazine N° 228 avril-mai 2009.

 

 

 

 

Bruno Centorame, Les Illustrateurs de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly

By admin, 2 janvier 2010 16:08

Phares obscurs

 

On s’attend à une nouvelle exploration de l’univers de Barbey, mais c’est un autre voyage que Bruno Centorame nous prépare: une étrangeté inquiétante et familière, une descente dans une époque spirituelle et diabolique, perverse et inventive : Les Illustrateurs de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly.

Constat d’une difficulté : « Illustrer un auteur tel que Jules Barbey d’Aurevilly peut sembler de prime abord une tâche difficilement surmontable, tant la richesse et la complexité de l’œuvre du Connétable des Lettres paraissent susceptibles de déconcerter un artiste exigeant… » Barbey a été longtemps classé parmi les auteurs « inillustrables ». Qui, par ailleurs, s’est souvent montré juge sévère pour ses propres illustrateurs…

Combien sont-ils alors, qui ont relevé le gant ?
Félix Buhot vient le premier: c’est un contemporain de Barbey, qui excelle à restituerl’atmosphère aurevillienne. Dès 1878, il livre une interprétation magistrale d’Une vieille maîtresse. Natif de Valognes, « ville adorée » de Barbey, Buhot se plaît justement à restituer les aspects les plus caractéristiques de « son cher petit Valognes ». L’auteur souligne la force expressive de ce maître de la gravure, son trait vif et précis. Les études pour Un chemin de perdition, magnifiquement reproduites dans l’ouvrage, révèlent « sa fidélité à l’esprit d’un certain romantisme noir ». La composition la plus magistrale de Buhot étant, selon Bruno Centorame, la chevauchée nocturne de l’abbé de La Croix-Jugan dans la lande de Lessay : vision spectrale, tourbillon éperdu.

Barbey par Félicien Rops: rencontre extraordinaire! Le jugement de Barbey est savoureux et implacable : « Rops a embourgeoisé le Diable. » Il est, par essence, le Scandaleux de l’époque décadente. Bruno Centorame rappelle justement qu’ « en acceptant que Félicien Rops illustrât les Diaboliques, Barbey fit montre d’une indépendance d’esprit bien dans sa manière. » Rops est un genre à lui tout seul: licencieux, méphistophélique. Il joint magnifiquement et étrangement son univers personnel à celui de Barbey et livre une lecture unique, vertigineuse, tragique, perverse et désespérée.

D’autres viennent alors : Alfred Kubin, dessinateur et écrivain allemand du tournant du siècle. Célèbre pour L’Autre Côté, ouvrage sulfureux et profond, il s’est attaqué à son tour, et à sa manière, au Bonheur dans le crime. La panthère de Kubin s’associe à Hauteclaire : le bestiaire de la Décadence marie sa symbolique visionnaire aux thèmes aurevilliens.

On découvre Donald Denton : c’est la couverture de ce magnifique ouvrage, attractive et fascinante : Ce qui ne meurt pas de 1928, sous l’influence certaine d’Aubrey Beardsley.

 

Page de manuscrit d'un ouvrage

Page de manuscrit d'un ouvrage de Jules Barbey d'Aurevilly (Musée de Saint Sauveur Le Vicomte - Manche)

…Et l’on s’en veut de ne pas évoquer les autres, si nombreux, dont les œuvres démontrent brillamment la puissance suggestive des ouvrages de Barbey: Alastair et Ivanoff, dont Bruno Centorame évoque l’univers avec subtilité. Des échos plus proches: Marc Ollivier, Florence Burnouf, Guillaume Sorel, Christophe Rouil…, tous rappelant à nous les vers fameux de Baudelaire:

 

« Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium ! »
(« Les Phares » in Les Fleurs du mal)

 

 

 

Les Illustrateurs de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly de Bruno Centorame, éditions Isoète, 2008, 138 p., 25 €.

Gwenaëlle Ledot.

Article paru dans le Normandie Magazine n° 228 (avril-mai 2009)  

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