Poétique de la carpe
Le dernier roman de Jacques-Pierre Amette est la petite histoire d’un journaliste : envoyé à Rome fin mars 2005, pour « savoir ce que pensaient les Romains de ce pape polonais. L’article de six mille signes environ devait donner l’ambiance de la ville, sa ferveur. »
L’écriture de l’article s’associe au voyage amoureux ; le journaliste est accompagné par Constance : elle-même reflet d’Italie, promesse de vie douce et d’enivrement… Glycine et rayons, poussière lumineuse, terrasses d’or deviennent le cadre idéal de la liaison romaine.
Eau tiède de Rome, mortifère : au-delà du « pétillement romain » subtilement peint par Amette, l’eau de vie devient marais, marécage. Si l’homme amoureux tente de posséder sa mystérieuse compagne, c’est encore et en vain… De l’importance de ne pas être constant.
Les reflets aquatiques se font ondoyants, obscurs. Un été chez Voltaire, autre roman d’Amette, se rappelle au souvenir nostalgique : « Elle baignait parfois dans le vide énigmatique du ciel, parfois grinçait, et pivotait sur un impalpable reflet. Elle pénétrait dans l’obscurité. Elle tournait sur les ondes, perdue dans les zones troubles d’un étang formant miroir. »
La thématique de l’eau porte donc son ambivalence. Que restera-t-il au journaliste ? La vacuité d’une gloire éphémère ? L’impuissance qui guette le don d’écrire ? Le mutisme possible et une menace sur l’amour.
Survit, simplement, une poétique des éléments. Ironie tranquille qui balaye toute vanité humaine :
« Il y avait autre chose, il y avait autre chose d’irréductible, de fidèle. La terre s’obstinait à durer et persévérer au-delà des regards humains. »
Liaison romaine, de Jacques-Pierre Amette, Paris, Albin Michel, mai 2012.
Gwenaëlle Ledot.
Un été chez Amette
On ne présente plus Jacques-Pierre Amette, même pas en tant qu’écrivain normand (1) : critique littéraire au Point, il a longtemps voyagé en compagnie choisie : Brecht, Hölderlin, Voltaire… La Maîtresse de Brecht obtient un prix Goncourt surprise en 2003. Depuis, le succès de Jacques-Pierre Amette, critique, romancier, dramaturge, ne se dément pas.L’été 2008, Amette l’a passé dans un village breton : vue sur la mer, prégnance élémentaire. Depuis longtemps l’auteur pressent que l’essentiel est de ce côté. « Lumière forte, horizontale, divine, qui s’étale. Au loin les rochers blanchissent et bouillonnent (…) Bouffée de vents tièdes. »Le flic très spécial du Lac d’or (paru en 2008) était en quête, déjà, de la « fontaine lumineuse » des jours passés. La substance des éléments prend le pas sur les jeux des hommes. Ce Journal météorologique permet à Amette d’aller jusqu’au bout de ses certitudes : «Il y avait autre chose, il y avait autre chose d’irréductible, de fidèle. La terre s’obstinait à durer et persévérer au-delà des regards humains. » (2)
Diariste de l’éternel et de l’élément, Amette se livre dans ce journal si particulier à la contemplation. Y participent Ariane, à la vénusté antique et marmoréenne – et l’Écrivain, visiteur du soir, Swann de circonstance. Les deux compagnons d’Amette ont le goût de tenir leur rôle à la perfection : conversations littéraires et doucement embrumées, visites vespérales pour l’un ; sensualité de muse et jupe vichy pour l’autre. L’écrivain, proustien jusqu’à la plume, « achète une botte d’asperges pour la décrire ». Au-delà des notations subtilement décalées, une amitié empathique s’écrit. Un été chez Amette, c’est un été parfait, anéantissement des contingences, résurgence des nécessités. Une prose poétique à découvrir. En épigraphe, Baudelaire, d’ailleurs : « Le monde stupéfié s’affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de son anéantissement. »
Journal météorologique, de Jacques-Pierre Amette, éditions des Équateurs, mars 2009, 153 pages, 16 €.
(1) Jacques-Pierre Amette, in Écrivains de Normandie, numéro spécial de Normandie Magazine, 2007.
(2) Un été chez Voltaire, Jacques-Pierre Amette, Albin Michel, 2007.
Gwenaëlle Ledot
Article paru dans le Normandie Magazine ° 229, mai-juin 2009. 