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Guy Allix, Survivre et mourir

By admin, 23 mai 2011 9:58

Les cendres à venir.

 

Lecture de Survivre et mourir, de Guy Allix.

                Pleurer la chute. Chute solaire, vécue au ralenti… Reste à saisir les instants de feu, les instants de cendre, puis les instants, infinis, où il n’y a rien.

                Attraper les minutes de douleur fulgurante, celles où l’on existe encore. La vibration de la vie, le chant des choses, le vif du cœur.

                Le poème ou la cendre. La cendre de l’amour ou la vie…

                Le recueil de Guy Allix est placé sous l’égide, juste, de Saint Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion. » Ses poèmes sont aussi une histoire, un parcours. Récit de l’homme qui accepte la chute. Récit du poète qui enchante l’instant suspendu. L’écrivain qui prend le risque de la vie et du temps, lorsque le temps même « s’affaisse comme un linge perdu ». Devenu Icare, le poète ressuscite l’instant amoureux, « l’instant consenti ».

 

« Il y aura le temps de mémoire

De mensonge parfois

Le temps si court d’exister encore

Et puis viendra peu à peu

Le temps de l’oubli

 

Infini. »

 

Ce recueil est l’histoire d’une âme. On l’entoure de silence. Elle vibre, palpite, résiste, « dans la nuit de vivre ». On l’écoute.

Et ne rien ajouter…

« Je ne sais que cette voix qui ne sait pas

Et qui s’insurge

Et qui crie malgré tout

De dépit et de rage. »

…que la voix de Beckett :

« Cette voix qui parle, se sachant mensongère, indifférente à ce qu’elle dit, trop vieille peut-être et trop humiliée pour savoir jamais dire les mots qui la fassent cesser, se sachant inutile, pour rien, qui ne s’écoute pas… en est-elle une ?

Elle n’est pas la mienne, je n’en ai pas, je n’ai pas de voix et je dois parler, c’est tout ce que je sais, c’est autour de cela qu’il faut tourner, c’est à propos de cela qu’il faut parler. » 

 

Gwenaëlle Ledot.

Guy Allix, Survivre et mourir, éditions Rougerie, mars 2011, 15 euros.

Commander l’ouvrage.

Le site du poète Guy Allix.

 

Christophe Dauphin, Riverains des Falaises

By admin, 6 mai 2011 10:10

Un phare allumé sur mille citadelles…

Poètes normands ? Poésie en Normandie ? L’ambition de Christophe Dauphin, auteur de Riverains des Falaises (anthologie des poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours), est de questionner cette relation, sa légitimité, son sens. Quelle harmonie secrète entre le pays et l’art des mots ?

« La poésie est cet art très ancien et très neuf à la fois, par lequel les Normands, pour les meilleurs, ont toujours fracturé la réalité intérieure. La poésie parle face à l’abîme que nous sommes, n’avons cessé, et ne cesserons jamais d’être. La normandité pourrait qualifier cet état. C’est une affinité secrète qui relie entre eux les poètes normands. »

Qui sont les sentinelles de la normandité ? Le choix entre les poètes est difficile, évidemment subjectif, subjectif et revendiqué. L’ouvrage est riche et foisonnant, le lecteur est tenté de le dire complet : la réussite est totale.

Commence, sous l’égide de Léopold Sédar Senghor, un merveilleux voyage dans un pays, un langage, une culture qui se construit en métissage : « Je dis que les Normands sont des métis culturels… La normandité est, d’un mot, une symbiose entre les trois éléments majeurs, biologiques et culturels, qui composent la civilisation française : entre les apports méditerranéens, celtiques et germaniques. »

L’élan épique inaugure l’ouvrage : le premier chef-d’œuvre de la littérature française, La Chanson de Rollant, est en anglo-normand… Le Roman de Rou, de Wace, retrace l’histoire des ducs de Normandie. Viennent ensuite, sous la plume de Béroul et Thomas, la légende de Tristan, et d’Iseut la blonde.

Le seizième siècle est également florissant en Normandie : Christophe Dauphin rappelle à nous Pierre Gringore, personnage emblématique d’une tradition essentielle en Normandie, celle des grands satiristes. « Sots lunatiques, sots étourdis, sots sages / Sots de villes, de châteaux, de villages… »  signe le très savoureux « Cri du prince des sots ».

Viennent au dix-septième siècle Saint Amant, Corneille et Scudéry… Certains moins connus, telle Madame de Villedieu, dont on découvre avec heureuse surprise les sonnets, jugés à l’époque scandaleusement libertins.

Dans ce jardin des délices, on croisera l’hydropathe Jean Lorrain, le symboliste Remy de Gourmont  et le flamboyant Barbey… Rues de Valognes hantées par Gustave le Rouge, la grande lande de Lessay parcourue par Louis Beuve, l’espace normand soudain fragmenté par Jean Follain.

Enfin, l’auteur consacre une section indispensable aux Normands d’adoption : Hugo et Prévert, Neruda et Senghor… les contemporains Hughes Labrusse et Guy Allix : « Nous rentrerons dans l’ombre / Dont nous n’étions jamais sortis / Autrement que par cet amour »

Qu’est-ce alors que la normandité, Christophe Dauphin ? « La normandité pourrait donc bien se définir par un sens aigu et blessé du réel, par le je hypertrophié de l’individu, un état d’être vissé aux tripes comme la naissance et la mort. » La Normandie par le poète, enfin :

« Maisons bleues s’y mêle le gris du ciel »

« Cette pierre qui boit les regards comme en prière ».  (Loïc Herry, Ouest)

Riverains des Falaises, de Christophe Dauphin, éditions Clarisse, novembre 2010, 533 pages, 20 euros.

Gwenaëlle Ledot

Denis Grozdanovitch, La secrète mélancolie des marionnettes

By admin, 6 mai 2011 10:03

Les marionnettes de Schopenhauer

Le roman de Denis Grozdanovitch prend comme modèle littéraire le très célèbre Decameron de Boccace : des écrivains, réunis dans une villa Médicis, regardent le monde s’effondrer autour d’eux… non pas cernés par l’épidémie de peste comme chez Boccace, mais sous l’effet de la gangrène consumériste et d’un modèle occidental voué à sa perte.

« Que l’humanité, ou ce qu’il est convenu de nommer ainsi nous oublie et nous laisse tranquilles. Nous formons ici une petite confraternité de cœurs désabusés, mais chaleureux et toujours vaillants.»

S’ensuivent discussions et débats, où Denis Grozdanovitch excelle. Brillant, honnête homme, profond et léger, lorsqu’il quitte le narratif pour le discours impromptu : réflexions sur le Mal, sur l’amour, sur le luxe comme divertissement existentiel. Pour ces êtres privilégiés, « rendre l’atmosphère ambiante irréelle ou surréelle, chercher à débarrasser, du mieux qu’ils le pouvaient, leurs moments d’existence ici-bas de l’inévitable trivialité attachée aux affaires humaines ordinaires, et tenter ainsi de conférer une texture fabuleuse à leur terrestre passage. »

Pendant que ses personnages dansent au-dessus d’un volcan, le narrateur tente de dégager l’axe dynamique de la civilisation occidentale : « leur fameux progrès tant revendiqué n’est qu’une progression têtue vers l’abîme. » Le modèle de société n’aurait d’autre but, inconscient et mortifère, que de « vérifier l’Apocalypse ».

Quant aux marionnettes, elles parcourent l’œuvre en métaphores de l’existence : très vite, le narrateur pense découvrir, avec Schopenhauer, que « nos chères petites personnes ne sont que des marionnettes vibrionnantes actionnées par le désir de reproduction » Sur ce vain théâtre, il aspire à un détachement de vieux sage, seul remède aux tourments annoncés. Et se trouve finalement piégé par un amour violent, vécu ou rêvé, qui surnage comme la dernière vérité.

La secrète mélancolie des marionnettes, de Denis Grozdanovitch, éditions de l’Olivier, janvier 2011, 330 pages, 20 euros.

Gwenaëlle Ledot

Philippe Delerm, Le trottoir au soleil

By admin, 6 mai 2011 9:52

Solstice

 

Lorsqu’on sait que le temps s’est déjà écoulé. Lorsqu’on décide de profiter des derniers rayons : Philippe Delerm, à soixante ans, dit être passé de l’autre côté du solstice d’été. « Il y aura encore des jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. Mais c’est ainsi : on est sûr d’avoir franchi le solstice. » Il devient nécessaire et urgent de se placer du bon côté de la vie : Le trottoir au soleil (titre de son dernier opus) traque les rares lumières de l’existence. Au-delà, il s’agira de saisir la bulle d’éternité qui se cache dans les parcelles et les étoiles du quotidien… Les miettes lumineuses d’une vie par avance disparue. Le regret et l’angoisse percent sous sa plume, de façon assez nouvelle. L’espérance est violente, la célébration de la vie se teinte de renoncement, et semble mendier des leitmotivs déjà échappés : un dîner au soleil, en été. Une terrasse de café au printemps. Le goût, profond et léger, d’une poignée de cerises noires. Un ailleurs flottant, « au nord de soi », à Bruges. Et la littérature, parfois. Pour « tailler à l’infini la route d’une intime vérité. »

Le trottoir au soleil, de Philippe Delerm, Gallimard, novembre 2010, 181 pages, 14,90 euros.

Gwenaelle Ledot

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