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Category: Chroniques 2011

Christian Bobin, Eclat du solitaire

By admin, 11 décembre 2011 12:12

Des pleurs, de toutes les couleurs.

 

Eclat du solitaire. Le recueil de Christian Bobin file et s’envole sur deux images en lutte : dans les premières pages, le dessin d’un visage, que l’on voit. C’est un autoportrait de Gilles Dattas. « Une tête qui porte plus de peine qu’une vie peut en supporter. »

Ce visage, on le retrouve partout, dans chaque rame de métro : « la tête de celui qui a perdu son travail, de celle qui vient d’apprendre qu’elle est trahie. Ce visage est le nôtre quand nous saisit le diable de la lassitude et que notre vie s’en va comme de l’eau, comme du sable, comme rien. »

« Ce visage, ambassadeur d’un pays détruit, affiche le stigmate de l’absolu. »

 

                

 

La deuxième image est celle d’un bouquet de pivoine. On ne le verra pas ; le respirer, peut-être, à travers les mots. Pivoines d’une vie flamboyante ou écrasée. Il éclate de son odeur, de ses couleurs.

Le texte trace son chemin à travers des parfums, des sons et des mots ; palpables ou non, déjà disparus : « L’arbre du langage a la respiration océane d’un concerto de Bach. » Chant des fleurs et des fêlures célébré par le poète.

Les pivoines explosent quelques pages plus loin. Elles sont écorchées. Elles donnent tout et deviennent martyres. Eblouies et déchiquetées.

Les cerisiers appellent une éternité japonaise. « La première fleur du thé. » Relire en silence, lorsque l’eau chantonne, la tombe de Proust, l’amour infernal de Swann.

Les pousses de muguet sont atomes de joie pour l’auteur. Cette joie fait souffrir.

Rassembleur de fleurs et de mots, le texte célèbre l’abolition de la vie par l’art : « L’humain se fait fantôme pour n’avoir plus à vivre ». Le mot, fantôme de l’existant, double le réel et console de la mort. Scintille le nouveau diamant, éclat du solitaire.

 

« Dans les cimetières, ce qu’on met en terre ce sont des sourires de toutes les couleurs. »

 

Eclat du solitaire, de Christian Bobin, Fata morgana, 2011.

 

Gwenaëlle Ledot

 

Annie Enaux, L’Atelier noir

By admin, 10 octobre 2011 9:48

Plus que la vie.

 

Recueil rose pour l’œuvre au noir… Annie Ernaux expose et explore un “parcours d’hésitation”,  ainsi nommé « corps à corps avec l’écriture ». L’atelier noir rend palpables la durée, la souffrance, la quête des mots et des formes. Une réflexion incarnée et physique, sur l’écriture et par l’écriture.

Un chemin balisé de phares littéraires, Peter Härtling, Flaubert, Proust… dont elle jauge et questionne l’œuvre : « Proust, c’est assez lourd, mal écrit parfois, ennuyeux à hurler, ou dérisoire, mais la beauté, l’importance, viennent de la recherche, du projet de connaissance, qui de ce fait a transformé l’histoire de la littérature. »

Eviter la littérature ? Paradoxe ultime soutenu depuis longtemps par Annie Ernaux, qui revendique d’écrire « en-dessous de la littérature » ; « écrire pour faire advenir un peu de vérité. Mais que cette vérité ne soit pas advenue seulement pour une élite ». Cette vérité est exigée par l’auteur, extirpée au monde qui l’entoure et à sa chair même. « Dire le monde, et pourquoi. »

Ecriture au couteau, où la vérité s’arrache par lambeaux. Jusqu’à dissolution du moi, s’il le faut : « Or, quand j’écris vraiment, je m’aperçois que je n’ai pas de moi… »

 

Et, pendant ce temps même, atteindre le plus intime…

L’icône de L’atelier noir est une œuvre picturale, qui hante le projet : L’anniversaire de Dorothea Tanning. Figure de femme, transfigurée par l’art, mais aussi vecteur de l’art ; corps sacrificiel et néanmoins triomphant.

De jour en jour, mots en mots, le projet d’écriture d’Annie Ernaux éclot et se ramifie en plusieurs feuillets, plusieurs volets : d’abord, le récit de la « ville-nouvelle », ville de banlieue. Il s’agit de Cergy. Il y aura Journal du dehors en 1993 et La vie extérieure en 2000. Cergy sera « la coulée froide » de l’écriture.

Plus tard, l’auteur arrache à sa vie souffrante un récit âpre : ce seront Passion simple et Se perdre, nés de son amour pour le diplomate russe Serguei, dit S. L’histoire indicible : « J’écrirai un livre sur toi devient : je n’écrirai pas un livre sur toi, mais je l’écris quand même. C’est ce non-livre qui devient le livre. »

Peu à peu, présence et absence de S. reviennent au même, reviennent aux mots :

« Ce désir, la jointure la plus mince entre la littérature et la vie, ne concerne que la relation S. C’est évidemment très fort et neuf poussé à cette limite. »

 

« Mais comment agencer tout cela : que l’amour c’est de l’écriture vécue, que l’écriture c’est de l’amour écrit ? »

Le fil des mots encercle l’enjeu : se trouver soi-même en disparaissant… s’évanouir et faire place à l’écrit.

L’atelier noir, d’Annie Ernaux, éditions des Busclats, septembre 2011.

Gwenaëlle Ledot.

Charles Dantzig, Dans un avion pour Caracas

By admin, 24 août 2011 13:03

« Le vaincu pleure ; quant au vainqueur, il est perdu. » [1]

 

 

Du plaisir, à chaque page… doit-il exister autre chose que le plaisir ? Dans un avion pour Caracas, de Charles Dantzig : roman pour oublier les grandes plaques d’ennui, les fâcheux et les dictateurs. Oublier le Venezuela et Hugo Chavez.

Phrases de Giono : « On ne va pas à Chichiliane. On irait, on y ferait quoi ? On ferait quoi à Chichiliane ? » [2] Chez Dantzig, on ne va pas non plus à Caracas. On en parle et on prend l’avion pour Caracas, mais on croit bien qu’on n’arrivera pas. Le roman s’envole et devient discours, léger et profond. Flèche de Zénon. L’avion pour Caracas affronte l’océan : une plaque bleue d’ennui.

 

Que faire à Caracas ? « Quand je pense que, au lieu d’en rapporter un grand reportage qui me vaudrait l’admiration de mes confrères, je vais chercher Xabi. » Ce narrateur bavard est l’ami et le biographe d’un écrivain célèbre nommé Xabi. Or, « Xabi s’est entiché de Chavez. Ou plutôt de l’idée d’écrire un portrait de lui. » S’est donc envolé pour le Venezuela. Etourdi.

Comme Xabi est le biographe de Chavez, le narrateur de Dantzig se fait le biographe du biographe :  « Je raconte un homme ». Le sujet est mince, mais qu’importe ? « Un écrivain qui n’a plus d’idée de forme se trouve un sujet ». Or, Dantzig n’a pas besoin de sujet, il a la forme.

 

Xabi est le double du narrateur (« Même taille. Même silhouette. Mêmes pensées, en gros. ») mais Xabi n’est pas le double de Chavez. Et il devra affronter en Amérique du Sud l’angoissante espèce des brutes rusées : « Un très inquiétant langage de brute rusée. Inaccessible au raisonnement, en effet. Inaccessible à autre chose qu’elle-même. Butée. Ça hait ce que ça ne comprend pas, et ça comprend peu. »

Le plaisir ? Ce qu’on goûte avant tout dans cette fausse biographie en marche : la réflexion et l’esprit.  Efficaces, toujours :

 « C’est la tactique des agresseurs. On les effleure de l’épaule dans la rue, et ils envahissent la Tchécoslovaquie. « J’ai été agressé ! »

Des citations éclosent le long du chemin, justes, inattendues ; colorées : Iggy Pop à la page 23 : « I’m the chairman of the bored.”  [3] Greta Garbo à la page 29 : « Je n’ai pas tellement fréquenté d’êtres humains, ces temps-ci. » Ils croisent un peu plus loin Sartre et Plutarque : bonne compagnie, dans cet avion qui n’arrive pas.

Et Racine, toujours : « Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces. » L’artiste accompagne l’artiste, dans une lutte éternelle contre l’informe…

Charles Danzig, Dans un avion pour Caracas, Grasset, août 2011.

 

Gwenaëlle Ledot.

  

[1] « Vers d’un oracle sibyllin cité par Plutarque dans les Vies parallèles », et placé en épigraphe du roman.

[2] Jean Giono, Un roi sans divertissement.

[3]Traduit par : « je suis le PDG des ennuyés » ; jeu de mots sur « bored / board »

 

Pourquoi lire ?

« La vie est très mal faite. On y rencontre sans arrêt des gens inutiles. »

Oui. Donc il s’agit de lire. Écrire. Oublier. Croquer. On goûte dans cet essai quelques scènes habiles et acides : la rencontre de Charles Dantzig avec une libraire ignare ; un dialogue avec un scénariste contempteur d’Albert Cohen ; la lecture pénible d’un best-seller mondial écrit avec du jus de navet.

S’il est plaisant de se moquer, il est surtout question ici de plaisir : feuilleter, butiner, faire son miel, revivifier. Un petit chemin à parcourir sous le vent tiède, un modeste soleil d’automne. L’on y cherche, avec l’auteur, une clairière : « la lumière intérieure commune à tous les hommes ».

Grand lecteur, Dantzig l’écrivain est en quête d’une prose dansante, légère et gracieuse. Ses phrases, pépites de l’esprit, empruntent volontiers aux grands maîtres : « N’ayant rien lu, le plus chétif talent nous était Pavarotti » La Fontaine ? Du Bellay ? Les plumes anciennes se ravivent au détour d’une phrase, comme un hommage élégant : « Je me demande si les Italiens, qui ont assez le goût de l’art… »

Marguerite Duras, dont il goûte assez les titres, Proust toujours retrouvé, et qu’il vénère… autant de silhouettes familières parcourent les pages de l’essai. Du chemin invariable de Kant jusqu’au « gueuloir » de Flaubert, Dantzig écrit son nom. Une petite respiration, la forme d’un monde informe, la structure d’un univers flasque, et qui nous échappe. Encyclopédie capricieuse, lecture indubitable.

Qu’est-ce alors que la lecture ? Que n’est-elle pas ? Elle ne change pas les hommes, ni ne les console. Elle ne fait pas les bons écrivains. Elle ne permet pas d’apprendre. Un beau livre décore, assurément, une table basse. Doit-on finir les livres ? Peut-on sauter des pages et faire des trous ? Doit-on relire Guibert, éviter Twilight ? Goûter les titres de Duras ? Dix heures et demie du soir en été. Le Ravissement de Lol V. Stein. Sans doute, sans doute.

On reconnaît, ravi, quelques citations. On est en bonne compagnie. On musarde, on picore des miettes de lecture. Et l’on dérobe quelques étincelles. « Une clairière où les fées dansent au chant des oiseaux-lyres » ? On s’interroge, à l’occasion : que répondrait Flaubert ? « La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »  Mais retrouver la voix de Goethe, et la Lorelei une dernière fois. La parole des hommes et le chant des choses. Parce qu’un jour il s’éteindra.

« La lecture est cet instant d’éternité simultanément ressenti par quelques solitaires dans l’espace immatériel un peu bizarre qu’on pourrait appeler l’esprit. »

Pourquoi lire ? de Charles Dantzig. Paris, Grasset, septembre 2010, 249 pages, 19 euros.

 Gwenaëlle Ledot.

   Article paru dans le Normandie Magazine N°238 - septembre 2010. 

  

Des écrivains morts

 
« Un écrivain mort, ça n’est parfois plus qu’un lambeau de tissu pendant au crochet d’un très ancien scandale ». Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig, article « Remy de Gourmont ».
Le Dictionnaire égoïste de la littérature de Charles Dantzig a été publié en 2005. C’est un délice pour tout amoureux ou curieux de la littérature, un (imposant) bijou couronné par le prix Décembre, le prix des lectrices de Elle, le prix de l’essai de l’Académie française, qui mérite d’être lu, relu et reconnu encore. Pour le plaisir, quelques sentences fulgurantes de Dantzig: « Lorenzaccio est un désordre qui n’est pas tellement un effet de l’art, Milady trop sec, Voyage au bout de la nuit trop gras, Le Piéton de Paris trop ordonné, Les Pléiades trop thèse, Candide trop antithèse. »
« Molière : Molière est une canaille. C’est Stendhal qui l’a dit. »
« La moitié de la gloire de Baudelaire vient, non de ses grands vers, mais de ce qu’il n’est jamais content. »
Irréductible à cette plaisante collection de mouvements d’humeur, l’ouvrage est d’un esprit fin et enlevé, littéraire mais jamais pédant, cultivé et accessible. Au-delà de la fantaisie et de la formule iconoclaste, c’est une culture immense, une passion qui ne l’est pas moins, et qui se partage. L’on y goûte l’écriture à la diable, le plaisir délicat de la rupture, de l’inattendue anacoluthe.

 


Ce Dictionnaire se trouve réactualisé en 2008 par la publication chez le même éditeur (Grasset) d’un autre ouvrage de Dantzig, celui-là consacré au seul Remy de Gourmont : Remy de Gourmont, Cher vieux daim ! (février 2008).
Le Normand Remy de Gourmont, dont le souvenir est lié à la ville de Coutances (1), co-fondateur du Mercure de France et chef de file du mouvement symboliste, est étrangement tombé dans l’oubli : reste une clinique, reste une rue, reste une mémoire locale. Son souvenir, comme le rappelle Dantzig, demeura longtemps attaché à un « très ancien scandale » : une déclaration provocatrice à la mode décadente, intitulée « Le Joujou patriotisme », et hâtivement interprétée par ses contemporains comme une détestation du pays. Scandale qui valut au jeune auteur en pleine ascension une renommée aussi rapide que sulfureuse.
Remy de Gourmont, auquel se voit donc appliquer cette savoureuse définition de l’écrivain mort, est l’un des meilleurs critiques de la Fin de siècle : années 1890-1900, « Époque subtile, tant amoureuse du relatif », pourrait-on écrire après Gide et avec Dantzig. L’existence de Remy de Gourmont s’écrit donc au cœur du symbolisme et de la Décadence. Un esprit, plus qu’une littérature. Une critique littéraire, plus qu’un roman. Cela tombe bien : Dantzig est lui aussi dans un entre-deux. Il se meut avec aisance entre les figures de l’époque, se remémore le culte de Wagner, et celui d’Isis, figure une tortue chez Des Esseintes, une araignée chez Rachilde, convoque les Masques… Gourmont, lui, oublie volontiers ce qu’on appelle parfois « la vraie vie », la sienne marquée par un lupus qui le défigure et enterre son existence mondaine. « La vie lui a été fastidieuse, il l’a volontiers délaissée. »
Dantzig veut rendre à César… Rendons à Dantzig ce qui lui appartient et exhortons le lecteur à parcourir avec gourmandise, à feuilleter gaiement, à faire son miel de l’excellent Dictionnaire et à redécouvrir l’œuvre de l’étonnant Normand Remy de Gourmont.

Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Grasset, 2005, 968 p., 28 €.

Charles Dantzig, Remy de Gourmont, Cher vieux daim ! Grasset, février 2008, 238 p., 17 €.

(1) Voir l’article qui lui a été consacré par Jacques Mauvoisin dans Écrivains de Normandie (numéro spécial 2007 de Normandie Magazine).

Gwenaëlle Ledot

Article paru dans le Normandie Magazine N° 223, été 2008.

Alexis Salatko, Céline’s band

By admin, 18 juillet 2011 13:37

Plume non recommandable. 

 

« Existe-t-il d’autres véritables réalisations de nos profonds tempéraments que la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar ?

La grande fatigue de l’existence n’est peut-être en somme que cet énorme mal qu’on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c’est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d’avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu’on nous a donné. » (Louis-Ferdinand Céline,  Voyage au bout de la nuit )

 

Difficulté d’écrire Céline, d’écrire sur Céline. Haïr l’antisémite, le xénophobe, et célébrer le Voyage au bout de la nuit : « T’ouvres Le Voyage et t’es happé… En trois lignes, Céline est là, il s’adresse à toi, il te parle dans la tête, il s’introduit dans ton système nerveux, il te raconte son histoire qui devient ton histoire, si tu t’avises de lui résister, il t’écrase du talon… »

Alexis Salatko écrit Céline’s band, roman biographique captivant, sur une vie dévorée et errante. « Céline, es-tu là ? »  Dans une existence vouée à l’écriture, retracer l’un des cercles de l’Enfer…

« L’écriture le rongeait. Au fond, il n’y avait que ça qui comptait, les mots, les visions qu’il portait sur le papier avec infiniment de patience et de souffrance, tournant le dos à tout ce qu’il aimait. »

 

Salatko devient chasseur d’apocalypses. Style étincelant au service d’une sombre épopée. Pose la question implacable, primaire : « Pourquoi Céline avait-il si mal tourné ? » Fouille la question lycéenne, naïve, lancinante : « Comment l’écrivain du vingtième siècle qui avait le mieux parlé de l’homme du vingtième siècle pouvait-il passer pour le pire des hommes ? »

Et martèle l’interrogation des lecteurs de Céline, devant l’horreur du pamphlet Bagatelle pour un massacre. L’incompréhension devant cette diatribe hallucinatoire et haineuse. Irrécupérable, irrattrapable.

Signe d’un mal d’époque ? Alliance hideuse et banale de la littérature et du Mal absolu :

« Ruée frénétique de l’art vers le giron totalitaire. Le surréalisme au service de la Révolution. Eluard chantant Staline en alexandrins. Aragon célébrant la Tcheka. Antonin Artaud dédiant ses Nouvelles Révélations à Hitler. »

La cécité idéologique des artistes : criminelle, impardonnable, humaine.

Accepter ce paradoxe ; le disséquer à l’infini, comme le fait Salatko. Le creuser et fouiller sa chair, au scalpel. Comme le faisait Céline :

« Quand on sera au bord du trou, faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu’on a vu de plus vicieux chez les hommes, et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière. » (Voyage au bout de la nuit)

 Alexis Salatko, Céline’s band. Editions Robert Laffont, mai 2011. 18 euros.

Gwenaëlle Ledot.

 

« Il est temps de lire Alexis Salatko. » (1)

 

Horowitz et mon père, chef-d’œuvre d’Alexis Salatko publié en 2006 chez Fayard, a été récompensé par le Prix Jean Freustié et le Grand Prix Littéraire de la ville de Caen. En 2008, l’auteur fait le choix d’un long récit, tout entier consacré aux fileurs d’or, moufletiers, marcheurs de pâtes et hommes de four : une fabrique de porcelaine en 1847. Ville de porcelaine, ville de bourbe, Limoges y apparaît, médiévale, laborieuse et alcoolisée. L’itinéraire de Marc Dubreuil nous est conté par sa fille China, dont l’histoire s’entrelace à la sienne. Une rencontre, qu’on dirait rêvée, avec Camille Corot change le destin de l’enfant chétif. Le peintre, « voleur d’ombre et de lumière », donne à Marc la force d’échapper à l’enfer de la tannerie et à son bourreau Sophocle, surnommé Le Cyclope : dernier avatar de tous les Rois des Aulnes qui parcourent en prédateurs l’œuvre de Salatko. « Le privilège des bâtards n’est-il pas de pouvoir se choisir un père parmi les hommes que le hasard place sur sa route ? »

Le monde terreux de Marc voit se détacher soudain la finesse des fils d’or. Initié aux couleurs des maîtres chinois et aux contrastes de Rembrandt, Marc affine son art et devient le « peintre-fleur ». Son épouse Luna se fait muse orientale, China à son tour convoque Botticelli et Ruysdael. Jusqu’à la « mort en pleine vie » de Marc Dubreuil, l’on voit Salatko poursuivre en trait filigrané sa rêverie maîtrisée sur la création, art et artisanat. « Harmonie des mouvements, expression de la réalité, concordance des tonalités, respect de la composition, copie des grands maîtres. » Fresque romanesque, dit-on ? Art poétique sans nul doute.

 

Alexis Salatko, China et la grande fabrique aux éditions Fayard, janvier 2008. 20 euros.

 

(1)   Patrick Besson dans l’hebdomadaire Marianne, à propos du roman Horowitz et son père, publié en 2006 chez Fayard.

 

Didier Decoin, Une Anglaise à bicyclette

By admin, 17 juillet 2011 14:21

Vent et nuage.

« Je les vois de mon cœur car mes yeux sont fermés. Mon amour au-dessus des fleurs n’a laissé que vent et nuage. » (René Char)

 

Le premier chapitre du roman de Didier Decoin, comme un coup de poing : la fuite éperdue et sanglante d’une femme sioux, pour la vie d’un enfant. Un massacre perpétré par les hommes du colonel Forsyth, dans les plaines du Dakota du Sud. Et un témoin, Jayson Flannery, photographe ambigu :

« Jayson a pris de nombreux clichés des corps éparpillés, raidis par le froid dans des poses parfois très belles qui font penser à la façon dont la nature torsade et noue les arbres. »

Une fillette indienne, rescapée de l’horreur, est confiée faute de mieux à Flannery. Lequel est censé en faire… quoi ? La pensionnaire d’un orphelinat ? Une servante ? Car le sort d’Ehawee n’intéresse personne. L’enfant, vite rebaptisée Emily, est confiée aux Sœurs de la Charité du New York Foundling Hospital :

« Si elles ne réussissent pas à la requinquer suffisamment pour l’embarquer à bord d’un train d’orphelins, elles la garderont à l’hôpital pour faire la lessive et rafistoler les vêtements des autres enfants. »

Le destin d’Ehawee bascule lorsque Jayson Flannery décide de l’adopter. La fillette sera présentée comme l’orpheline d’une famille de cultivateurs irlandais. Pivotant sur un instant de doute (« A-t-il, en partant, déposé un baiser sur le front d’Emily ? »), le récit ouvre grand le champ des possibles.

Alors, le souffle romanesque de Decoin emporte et brasse ses personnages : dans une campagne anglaise battue des vents apparaissent Emily Brontë, Conan Doyle, des attrapeurs de rêve et des petites fées… Errance dans les limbes, entre le monde dense de la mort (Omnipresence of Death est le titre choisi par Jayson Flannery) et celui des vivants, en partance.

Cet entre-deux s’illumine de présences incertaines : une Anglaise indienne sur sa bicyclette, deux petites filles qui croient aux fées, des vieilles dames retrouvant leur splendeur passée. Un vent doux caresse les personnages et les porte au-delà de la mort…

 

« Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse que nul ne l’entend jamais. » (Paul Eluard)

 

Didier Decoin, Une Anglaise à bicyclette aux éditions Stock, juin 2011.
Gwenaëlle Ledot.
 

Annie Ernaux, L’autre fille

By admin, 2 juillet 2011 17:51

« L’aimé c’est toujours l’Autre… »

 

 

 

« Dors : on t’aimera bien - L’aimé c’est toujours l’Autre…

 

Rêve : la plus aimée est toujours la plus loin. »   (Tristan Corbière, Les Amours jaunes)

 

 « Tu as toujours été morte. Tu es entrée morte dans ma vie l’été de mes dix ans. »

Annie Ernaux écrit une lettre fictive à sa sœur, l’enfant du ciel. Morte depuis deux ans et demi lorsqu’Annie est née. Celle qu’elle n’a jamais rencontrée. Rappelant Les Années, cet opuscule en forme de lettre fictive se fait l’écho d’une vie, entre les photos et les mots.

Un jour, la mère d’Annie se confie à une inconnue et révèle qu’elle a eu une autre fille, décédée très jeune. Récit fondateur qu’Annie, à dix ans, entend, écoute. Récit qui fige à jamais la vie d’un petit ange, canonisée par la mère : « Elle raconte qu’ils ont eu une autre fille que moi et qu’elle est morte de la diphtérie à six ans, avant la guerre, à Lillebonne. »  La fillette est morte « comme une petite sainte ». La mère se souvient qu’elle était « plus gentille que celle-là. »

Qui est « l’Autre » ?

« Morte et pure. Un mythe. »

Entre Annie et ses parents, il y a désormais l’Autre. L’autre fille. Celle, émergée du discours, qui reste l’ange, l’incomparable, l’incomparée. Il y aura à jamais ce spectre, une première fille parfaite. Plus gentille… Annie se sent « repoussée dans l’ombre tandis qu’elle plane tout en haut dans la lumière éternelle. »

« La réalité est affaire de mots, système d’exclusions. Plus/Moins. Ou/Et. Avant/Après. Etre ou ne pas être. La vie ou la mort. »

Qui devient l’Autre ?

Annie, à son tour, devient l’Autre de sa sœur. Repoussée du côté de la terre, de l’humain, de l’imparfait. Double insuffisant de la petite martyre. Annie, symboliquement tuée par les mots, par le récit de sa mère : « un récit clos, définitif, inaltérable, qui te fait vivre et mourir comme une sainte […] Le récit qui profère la vérité et m’exclut. »

« Je ne leur reproche rien. Les parents d’un enfant mort ne savent pas ce que leur douleur fait à celui qui est vivant. »

Plus tard, l’écriture va inverser les destins : œuf de perfection était ce récit, où la sœur est née et morte. L’écriture d’Annie Ernaux va créer une autre bulle, faisant d’elle-même, enfant sombre, le vecteur de l’art. L’écrivain.

 Pour une sœur défunte qui s’abîme dans l’ineffable, et renaît par le pouvoir des mots.

L’autre fille, d’Annie Ernaux, éditions NiL, avril 2011.

 

Gwenaëlle Ledot. 

 

Les Années
par Anni
e Ernaux

 

le temps palimpseste

L’entreprise d’Annie Ernaux atteint dans un précédent ouvrage un aboutissement : aller au-delà des béances du temps. Défier l’oubli, pas en son nom propre, mais au nom de tous, de toutes. Le destin d’une femme, des années 1940 jusqu’en 2007, est l’objet d’un long travail de mémoire, d’écriture de la mémoire ; quelques photographies, non reproduites, rythment le temps d’une vie.

L’enfance, couleur sépia, nous est narrée sans afféterie : la petite fille est née à Lillebonne dans une époque âpre. La langue de l’enfance normande est « un français écorché, mêlé de patois » et émaillé de rudes maximes : « La vie te dressera », « Il aurait fait bon répondre », « On aura bien le temps de mourir, allez ! » Les parents, les anciens transmettent la résignation, l’acceptation de son sort, la limitation du désir et de l’espace : « On vivait dans la rareté de tout », « On vivait dans la proximité de la merde. Elle faisait rire. »

Les récits d’une époque sombre, « pleins de morts et de violence, de destruction » faits par les vieux aux enfants d’ « après », les repas familiaux qui réchauffent et les refrains d’époque : Fleur de Paris et L’Hirondelle du faubourg… images sonores de ces années où le cours des choses est lent, où l’on meurt « de mal », où peu à peu, tout doucement, perce la nouveauté.

Vient alors le temps des « chics types » et des « filles bien, claires et droites » : la sagesse veut que l’on fortifie la jeunesse ; il s’agit de « l’endurcir physiquement », de la maintenir à l’écart des pièges de la paresse, de l’immoralité… Annie est de cette génération, mais elle est déjà loin aussi : sûre d’une autre vérité, éprise de littérature, assoiffée de liberté.

Soudain, le corps est là, malmené. « Le désastre féminin », dénoncé dans L’Événement ou Les Armoires vides, s’étale : l’avortement clandestin dans les années 1960, puis l’aliénation sournoise et étrangement recommencée de la femme moderne.

La peinture de l’époque est d’une telle acuité, sans nostalgie ni fard, qu’elle fait inévitablement souffrir. Le « je » fait place à un « elle » qui se mêle au « on ». Nous sommes maintenant à la frontière du collectif et de l’individuel, à la jointure de l’histoire et de la littérature. Les caddies de supermarché deviennent sociologie, les conversations familiales se font politiques et nihilistes. Annie est grand-mère maintenant. C’est une nouvelle époque, dite « de consommation » ; « il fallait que la merde et la mort soient invisibles ».

Des photos de famille il y a la suggestion : des enfants chéris, mais étrangement lointains et Annie toujours, accompagnée de son chat, décrit comme « un chat noir et blanc de l’espèce la plus répandue ».
Cette lecture submerge bien vite : d’émotion, de reconnaissance et de vérité. Une vérité qu’Annie Ernaux n’a cessé de traquer de livre en livre, de roman en autofiction, portée par une écriture dépouillée, sobre, dite « au couteau ». Si la perfection est sous nos yeux, c’est qu’elle est soutenue par l’urgence& : sauver la lumière des visages évanouis ; les mots de réconfort perdus ; les refrains et les rires envolés.

Puis le chat d’Annie, décrit toujours comme « d’espèce commune », reçoit une piqûre : le petit chat qui meurt n’est pas de comédie. On devine à travers lui l’acceptation, la solitude ; on comprend étrangement son « enfouissement », et c’est pour Annie que l’on pleure. 

Gwenaëlle Ledot

 

La représentation de la vie psychique dans l’œuvre d’Annie Ernaux: le Journal du dehors.

 

 

Guy Allix, Survivre et mourir

By admin, 23 mai 2011 9:58

Les cendres à venir.

 

Lecture de Survivre et mourir, de Guy Allix.

                Pleurer la chute. Chute solaire, vécue au ralenti… Reste à saisir les instants de feu, les instants de cendre, puis les instants, infinis, où il n’y a rien.

                Attraper les minutes de douleur fulgurante, celles où l’on existe encore. La vibration de la vie, le chant des choses, le vif du cœur.

                Le poème ou la cendre. La cendre de l’amour ou la vie…

                Le recueil de Guy Allix est placé sous l’égide, juste, de Saint Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion. » Ses poèmes sont aussi une histoire, un parcours. Récit de l’homme qui accepte la chute. Récit du poète qui enchante l’instant suspendu. L’écrivain qui prend le risque de la vie et du temps, lorsque le temps même « s’affaisse comme un linge perdu ». Devenu Icare, le poète ressuscite l’instant amoureux, « l’instant consenti ».

 

« Il y aura le temps de mémoire

De mensonge parfois

Le temps si court d’exister encore

Et puis viendra peu à peu

Le temps de l’oubli

 

Infini. »

 

Ce recueil est l’histoire d’une âme. On l’entoure de silence. Elle vibre, palpite, résiste, « dans la nuit de vivre ». On l’écoute.

Et ne rien ajouter…

« Je ne sais que cette voix qui ne sait pas

Et qui s’insurge

Et qui crie malgré tout

De dépit et de rage. »

…que la voix de Beckett :

« Cette voix qui parle, se sachant mensongère, indifférente à ce qu’elle dit, trop vieille peut-être et trop humiliée pour savoir jamais dire les mots qui la fassent cesser, se sachant inutile, pour rien, qui ne s’écoute pas… en est-elle une ?

Elle n’est pas la mienne, je n’en ai pas, je n’ai pas de voix et je dois parler, c’est tout ce que je sais, c’est autour de cela qu’il faut tourner, c’est à propos de cela qu’il faut parler. » 

 

Gwenaëlle Ledot.

Guy Allix, Survivre et mourir, éditions Rougerie, mars 2011, 15 euros.

Commander l’ouvrage.

Le site du poète Guy Allix.

 

Christophe Dauphin, Riverains des Falaises

By admin, 6 mai 2011 10:10

Un phare allumé sur mille citadelles…

Poètes normands ? Poésie en Normandie ? L’ambition de Christophe Dauphin, auteur de Riverains des Falaises (anthologie des poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours), est de questionner cette relation, sa légitimité, son sens. Quelle harmonie secrète entre le pays et l’art des mots ?

« La poésie est cet art très ancien et très neuf à la fois, par lequel les Normands, pour les meilleurs, ont toujours fracturé la réalité intérieure. La poésie parle face à l’abîme que nous sommes, n’avons cessé, et ne cesserons jamais d’être. La normandité pourrait qualifier cet état. C’est une affinité secrète qui relie entre eux les poètes normands. »

Qui sont les sentinelles de la normandité ? Le choix entre les poètes est difficile, évidemment subjectif, subjectif et revendiqué. L’ouvrage est riche et foisonnant, le lecteur est tenté de le dire complet : la réussite est totale.

Commence, sous l’égide de Léopold Sédar Senghor, un merveilleux voyage dans un pays, un langage, une culture qui se construit en métissage : « Je dis que les Normands sont des métis culturels… La normandité est, d’un mot, une symbiose entre les trois éléments majeurs, biologiques et culturels, qui composent la civilisation française : entre les apports méditerranéens, celtiques et germaniques. »

L’élan épique inaugure l’ouvrage : le premier chef-d’œuvre de la littérature française, La Chanson de Rollant, est en anglo-normand… Le Roman de Rou, de Wace, retrace l’histoire des ducs de Normandie. Viennent ensuite, sous la plume de Béroul et Thomas, la légende de Tristan, et d’Iseut la blonde.

Le seizième siècle est également florissant en Normandie : Christophe Dauphin rappelle à nous Pierre Gringore, personnage emblématique d’une tradition essentielle en Normandie, celle des grands satiristes. « Sots lunatiques, sots étourdis, sots sages / Sots de villes, de châteaux, de villages… »  signe le très savoureux « Cri du prince des sots ».

Viennent au dix-septième siècle Saint Amant, Corneille et Scudéry… Certains moins connus, telle Madame de Villedieu, dont on découvre avec heureuse surprise les sonnets, jugés à l’époque scandaleusement libertins.

Dans ce jardin des délices, on croisera l’hydropathe Jean Lorrain, le symboliste Remy de Gourmont  et le flamboyant Barbey… Rues de Valognes hantées par Gustave le Rouge, la grande lande de Lessay parcourue par Louis Beuve, l’espace normand soudain fragmenté par Jean Follain.

Enfin, l’auteur consacre une section indispensable aux Normands d’adoption : Hugo et Prévert, Neruda et Senghor… les contemporains Hughes Labrusse et Guy Allix : « Nous rentrerons dans l’ombre / Dont nous n’étions jamais sortis / Autrement que par cet amour »

Qu’est-ce alors que la normandité, Christophe Dauphin ? « La normandité pourrait donc bien se définir par un sens aigu et blessé du réel, par le je hypertrophié de l’individu, un état d’être vissé aux tripes comme la naissance et la mort. » La Normandie par le poète, enfin :

« Maisons bleues s’y mêle le gris du ciel »

« Cette pierre qui boit les regards comme en prière ».  (Loïc Herry, Ouest)

Riverains des Falaises, de Christophe Dauphin, éditions Clarisse, novembre 2010, 533 pages, 20 euros.

Gwenaëlle Ledot

Denis Grozdanovitch, La secrète mélancolie des marionnettes

By admin, 6 mai 2011 10:03

Les marionnettes de Schopenhauer

Le roman de Denis Grozdanovitch prend comme modèle littéraire le très célèbre Decameron de Boccace : des écrivains, réunis dans une villa Médicis, regardent le monde s’effondrer autour d’eux… non pas cernés par l’épidémie de peste comme chez Boccace, mais sous l’effet de la gangrène consumériste et d’un modèle occidental voué à sa perte.

« Que l’humanité, ou ce qu’il est convenu de nommer ainsi nous oublie et nous laisse tranquilles. Nous formons ici une petite confraternité de cœurs désabusés, mais chaleureux et toujours vaillants.»

S’ensuivent discussions et débats, où Denis Grozdanovitch excelle. Brillant, honnête homme, profond et léger, lorsqu’il quitte le narratif pour le discours impromptu : réflexions sur le Mal, sur l’amour, sur le luxe comme divertissement existentiel. Pour ces êtres privilégiés, « rendre l’atmosphère ambiante irréelle ou surréelle, chercher à débarrasser, du mieux qu’ils le pouvaient, leurs moments d’existence ici-bas de l’inévitable trivialité attachée aux affaires humaines ordinaires, et tenter ainsi de conférer une texture fabuleuse à leur terrestre passage. »

Pendant que ses personnages dansent au-dessus d’un volcan, le narrateur tente de dégager l’axe dynamique de la civilisation occidentale : « leur fameux progrès tant revendiqué n’est qu’une progression têtue vers l’abîme. » Le modèle de société n’aurait d’autre but, inconscient et mortifère, que de « vérifier l’Apocalypse ».

Quant aux marionnettes, elles parcourent l’œuvre en métaphores de l’existence : très vite, le narrateur pense découvrir, avec Schopenhauer, que « nos chères petites personnes ne sont que des marionnettes vibrionnantes actionnées par le désir de reproduction » Sur ce vain théâtre, il aspire à un détachement de vieux sage, seul remède aux tourments annoncés. Et se trouve finalement piégé par un amour violent, vécu ou rêvé, qui surnage comme la dernière vérité.

La secrète mélancolie des marionnettes, de Denis Grozdanovitch, éditions de l’Olivier, janvier 2011, 330 pages, 20 euros.

Gwenaëlle Ledot

Philippe Delerm, Le trottoir au soleil

By admin, 6 mai 2011 9:52

Solstice

 

Lorsqu’on sait que le temps s’est déjà écoulé. Lorsqu’on décide de profiter des derniers rayons : Philippe Delerm, à soixante ans, dit être passé de l’autre côté du solstice d’été. « Il y aura encore des jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. Mais c’est ainsi : on est sûr d’avoir franchi le solstice. » Il devient nécessaire et urgent de se placer du bon côté de la vie : Le trottoir au soleil (titre de son dernier opus) traque les rares lumières de l’existence. Au-delà, il s’agira de saisir la bulle d’éternité qui se cache dans les parcelles et les étoiles du quotidien… Les miettes lumineuses d’une vie par avance disparue. Le regret et l’angoisse percent sous sa plume, de façon assez nouvelle. L’espérance est violente, la célébration de la vie se teinte de renoncement, et semble mendier des leitmotivs déjà échappés : un dîner au soleil, en été. Une terrasse de café au printemps. Le goût, profond et léger, d’une poignée de cerises noires. Un ailleurs flottant, « au nord de soi », à Bruges. Et la littérature, parfois. Pour « tailler à l’infini la route d’une intime vérité. »

Le trottoir au soleil, de Philippe Delerm, Gallimard, novembre 2010, 181 pages, 14,90 euros.

Gwenaelle Ledot

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