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Barbe bleue, d’Amélie Nothomb

By admin, 22 août 2012 19:21

 

« A Amélie Nothomb.

… Oui, je sais, vous vous en fichez. »[1]

 

Don Elemirio Nibal y Milcar pourra-t-il rivaliser avec Prétextat Tach[2] ? Angoissante question qui saisit le lecteur assidu d’Amélie Nothomb en cette fin du mois d’août. « Un lecteur est un sac de phrases », écrit Charles Dantzig. Par les charmes de l’auteur fécond, le lecteur est devenu un sac de noms. Véritable Robert des noms propres.

Août 2012 : la nouvelle héroïne d’Amélie se nomme Saturnine Puissant. A vingt-cinq ans, elle est, selon son admirateur, belle comme une créature de Khnopff.

 

Des caresses, ou l’Art, ou le Sphinx, 1896, Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles.

 

Don Elemirio lui propose une colocation à un prix modique, dans un univers luxueux : lit douillet, marbre chauffé, champagne à flots, cristal de Tolède.

Au milieu de tout ce luxe, il y a une chambre noire. Interdite parce que. Barbe bleue, donc. Saturnine prend un risque évident, celui de la littérature : il est contenu dans le titre. Risque d’y entrer par curiosité, comme toutes les femmes du conte, risque d’y entrer par distraction (ah bon ?), risque d’y entrer par goût. Du risque.

« Si vous entriez dans cette chambre, je le saurais et il vous en cuirait. »

Mais Saturnine le clame haut et fort : ce n’est pas son genre. La curiosité n’est pas le propre d’une Saturnine, pas plus que d’un Saturnin ou d’un Robert. Dont acte.

Le duel commence donc : Saturnine – jeune, mais pas naïve ; femme, mais pas curieuse ; belge, et non française, elle y tient - contre l’aristocrate espagnol. Don Elemirio semble un homme banal, de prime abord. Capable de cuisiner des omelettes intimidantes et des anguilles sous roche, mais tout de même. Paraît bien loin d’égaler Barbe bleue et Prétextat Tach.

La joute verbale qui s’engage, savoureuse, portera sur des sujets aussi divers que les mérites méconnus de l’Inquisition et l’hérésie du champagne rosé. L’essence théologique de l’œuf. La métaphysique du jaune. J’en passe, bien sûr.

Fil rouge du roman : Saturnine, incarnation de la sagesse humaine, peut-elle tomber amoureuse « d’un malade mental, d’un homme infatué, d’un être parfaitement biscornu ? » Voire d’un assassin ? … Il serait bien regrettable de se refuser un tel plaisir de lecture, surprenant et dense jusqu’à la dernière goutte : tout de savoureuse finesse, les mots pétillants d’Amélie Nothomb.

Barbe bleue, d’Amélie Nothomb, Albin Michel, août 2012.

Gwenaëlle Ledot.


[1] Extrait facétieux de Biographie de la faim, A. Nothomb, Albin Michel 2004.

[2] L’assassin d’Hygiène de l’assassin, premier roman d’A. Nothomb.

L’âme du monde, de Frédéric Lenoir

By admin, 17 août 2012 12:56

Les voix du GPS

 

Les voix (voies ?) du GPS sont impénétrables : un sage chinois, maître Kong, découvre un jour sur son écran des coordonnées mystérieuses : latitude et longitude du sanctuaire de Toulanka. Cet appel aussi énigmatique qu’inattendu le convainc et il décide de rejoindre ce monastère tibétain. D’autres sont appelés : une philosophe néerlandaise, une mystique hindoue, un rabbin kabbaliste juif, un maître soufi musulman, une femme chamane, un moine chrétien, un maître du Tibet…  Huit sages, représentants des principales traditions philosophiques et des grands courants spirituels du monde sont ainsi réunis.

Frédéric Lenoir n’avance pas masqué : de la part du philosophe, historien des religions, on s’attend à une fable, des paraboles, un petit vadémécum de sagesse pour les nuls… Ce que le titre du chapitre 4 semble confirmer, façon conte philosophique : « Une source, un éléphant et une montagne ».

L’intuition d’une source commune s’impose à eux : celle de la vie et de l’amour. A partir de ce commun identifié, les sages développent deux images illustrant leur quête : l’éléphant symbolise la fragmentation possible de la sagesse universelle. La montagne montre l’importance de la quête elle-même : c’est le cheminement qui compte, non le point d’arrivée. Convaincant.

Quelques songes terrifiants catalysent l’énergie spirituelle des huit sages et leur permettent d’identifier clairement le but : « formuler ensemble les fondements universels de la sagesse » (assorti d’ailleurs d’une gageure : « dépasser nos différences »).

On demeure en revanche surpris (déçu ?) par la représentation de la pensée laïque : la philosophe qui censément la porte est spinoziste, ce qui donnera : « Dieu se confond avec la Nature. […] Il est une force impersonnelle qui demeure en tout être et apporte son harmonie au monde. »  Aïe ! Dieu si vite de retour ? Plus loin il sera question de « l’énergie spirituelle qui maintient en harmonie la Nature ». Hem ! Laïcité molle, à tout le moins…

Cet obstacle digéré, le reste coule de source, et se lit avec grand plaisir. Impression délicieuse de syncrétisme où l’on retrouve, sur le chemin : « Deviens ce que tu es » (mais qui a dit… ?) « Tout dans le monde est soumis au changement. »  (qui encore ?)  « On ne naît pas libre, on le devient. ». « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse… »

Sept points principaux seront développés, qui résument « l’essentiel de la sagesse humaine ». Apprendre à vivre est nécessaire, car « nous sommes seuls, nous sommes nés seuls et nous mourrons seuls… » Par la voix des sages on rencontrera Socrate, Héraclite, Bouddha… On est en bonne compagnie, et Frédéric Lenoir un narrateur fort plaisant. Idées fortes, nécessaires. Anecdotes souriantes et judicieuses. Humanisme chaleureux.

Ce petit trésor ainsi rassemblé, de manière digeste, demeure jusqu’à la fin un vrai plaisir de lecture. Séduisant quand on ne l’attend pas, dans ses questionnements incarnés : et continuer à espérer lorsqu’on a tout perdu.

L’âme du monde, de Frédéric Lenoir, éditions Nil, mai 2012.

Gwenaëlle Ledot.

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