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Élisabeth Badinter, Le Conflit, la femme et la mère

By admin, 7 avril 2010 17:07

La femme est-elle une personne ?

On croyait que la guerre était gagnée : en France, les luttes féministes des années 1970 avaient proclamé la liberté d’être, d’aimer, de procréer. On se doutait que le machisme ordinaire n’avait pas dit son dernier mot et qu’il faudrait attendre encore pour que le « partage des tâches » chéri des sondeurs soit autre chose qu’une douce utopie. Et l’on redécouvre, lors du marronnier médiatique de la Journée de la femme, quelques vérités qu’on aimerait bien laisser derrière soi : les tâches domestiques et la fameuse « double journée » sont à 80 % dévolues aux femmes ; le plafond de verre a maintenu la plupart des femmes loin des postes de direction ; certains droits (ainsi du droit à l’avortement, conquis de haute lutte) semblent, sans que personne s’en émeuve à l’excès, remis en question.La menace est revenue. Dans son dernier essai, Elisabeth Badinter dénonce la « sainte alliance des réactionnaires » : une idéologie naturaliste (la faute à Rousseau ?), un certain discours écologique radical et la fin d’un féminisme égalitaire. La régression passe par la culpabilisation : les dix commandements de la Leche League, cités par l’auteur (« Tu ne sèvreras pas tes enfants en fonction de ton confort »), sont proprement hallucinants; on découvre, anecdotiquement, « la nouvelle tâche exaltante » qui attend la mère écolo (des couches lavables). Il est bien entendu inconcevable de retourner travailler avant les trois ans de l’enfant…Plus grave, les femmes ne semblent plus se battre pour elles-mêmes : sous les effets de la crise et étant donné l’âpreté du monde du travail, elles s’acheminent, de plus en plus nombreuses, vers l’idée d’un « salaire d’appoint » (« Pour une femme, c’est bien assez »). À elles le congé parental (les hommes n’ont pas su intégrer le concept), à elles le temps partiel. Le fameux « 80% » devient le nouvel eldorado de la femme moderne. Employées différentes ? Citoyennes différentes ? Aujourd’hui, tout est à perdre. Le Conflit, la femme et la mère, Élisabeth Badinter, Flammarion, 2010, 269 pages, 18 €.

Gwenaëlle Ledot.

 Article paru dans le  Normandie Magazine N°235, avril 2010.

Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham

By admin, 6 avril 2010 16:10

Florence Aubenas et l’esclave moderne

Pendant quelques mois, Florence Aubenas a vécu en chercheuse d’emploi, anonyme et non qualifiée ; elle s’inscrit au chômage avec un bac pour seul bagage. Le début d’une épopée des nerfs. Elle va d’épuisement en humiliation, de petit boulot mal payé à… petit boulot mal payé. D’une patronne méprisante à un chef tyrannique. Consternante galerie de portraits.Parmi lesquels monsieur Mathieu. Parangon d’humanisme et de civilité : « Madame Aubenas, je pourrais passer toute la matinée à vous expliquer, mais ça n’en vaut pas la peine. Je ne suis pas sûr que vous soyez capable de comprendre, et n’essayez pas de faire l’éducation de ceux qui n’en ont pas besoin. » Dont acte.Et une directrice de colonie de vacances, à Colleville : elle cherche des « femmes à tout faire ». Florence Aubenas se présente. Il s’agit de servir à table et de récurer les bâtiments. Horaires de 7 h à 14 h, avec une pause, puis de 18 h à 21 h 30. Mais il peut y avoir davantage d’heures à faire… ou moins ; ça dépend, elle ne peut pas dire. Commentaire lénifiant à l’appui : « C’est l’école de la souplesse pour le bonheur des tout-petits ». Florence Aubenas, pas encore bien au fait de sa condition d’esclave moderne, demande des détails. L’employeuse se fâche : « Je me demande souvent ce que les femmes comme vous ont dans la tête. Qu’est-ce que vous voulez au fond ? »L’épisode fait sourire. Pas longtemps, car ces aléas mènent, très sûrement, à la vraie misère sociale. Ses compagnons d’infortune renoncent, pour beaucoup, aux soins les plus élémentaires : pas d’argent, pas la peine. À la crise, aussi. Les Normands qu’elle rencontre semblent la subir, sans solidarité (qui, peut-être, ferait la force) et dépourvus de conscience politique : « En roulant à travers Caen, le nombre de banderoles qui barrent le fronton me frappe soudain : j’en compte une bonne quinzaine, entre l’université, les laboratoires de recherche, les ateliers, l’hôpital. Chacun vit, pourtant, retranché dans son histoire et sa contestation. »Et là encore, le machisme ordinaire : sur les quais de Ouistreham, les employés s’épuisent à la tâche. Mais « faire les sanis » (sanitaires, toilettes) est une tâche majoritaire à bord et exclusivement féminine. « Parfois, on dit à un employé homme : “Tu vas faire les sanis”, mais ça ne se réalise jamais, c’est forcément pour faire une blague, même avec les fortes têtes ou les souffre-douleur. Les hommes passent l’aspirateur, nettoient les restaurants ou les bars, dressent les couchettes pour les traversées de nuit. Jamais ils ne frottent la cuvette des WC. »L’écœurement domine, l’indignation croît : l’ouvrage est plein de vertus. Il fera haïr, douter, espérer; changer peut-être.

Le Quai de Ouistreham, Florence Aubenas, éditions de l’Olivier, mars 2010, 270 pages, 19 €.

Gwenaëlle Ledot.

 Article paru dans le  Normandie Magazine N°235, avril 2010.

Belinda Cannone, La Tentation de Pénélope

By admin, 5 avril 2010 16:09

Maudites Pénélopes !


Cela commence bien, ici : les premières pages de l’essai invoquent l’amour et l’homme désiré ; vibrent de l’affirmation d’un corps, vivant et séducteur. Mais l’horizon, vite, s’assombrit. Car Belinda Cannone questionne les représentations de la féminité en ce début de siècle. Et relève l’étonnante persistance de conceptions rétrogrades : la croyance en une « essence » de la femme, associée à la maternité et à son cortège de valeurs fantasmées : douceur, sollicitude, sacrifice…

Petit rappel, pas inutile, du chemin parcouru : on accorde à la femme le droit de disposer de son salaire (1907) et de passer le bac dans les mêmes conditions que les garçons (1924) ; puis le droit de vote (1944) et enfin l’accès à la contraception (1967) et à l’avortement (1974). Conquêtes encore récentes. Symboles, aussi, d’un espoir universel : de l’Inde au Brésil, l’essai rend hommage aux femmes qui se battent.

Mais au moment même où l’espoir grandit, certaines, telle Pénélope, entreprennent de tirer sur le fil… et de défaire le travail accompli par les générations précédentes.

En ce début de vingt-et-unième siècle, la tentation est grande en effet de renvoyer les femmes au maternage et aux soins du foyer. Quant aux hommes, une enquête du Monde datée de 2009 montre qu’ils continuent à concevoir leur contribution à la vie de famille comme « subsidiaire ».

Sans se départir jamais d’une posture dansante et spirituelle, Belinda Cannone argumente, approfondit, dénonce : « J’accuse une certaine forme de féminisme - qu’on appelle le différentialisme - d’être rétrograde et préjudiciable à la cause des femmes ». Qu’est-ce que le différentialisme ? « En deux mots : croire que, du fait du déterminisme biologique, les femmes seraient d’une tout autre nature que les hommes, et en tirer toutes sortes de conséquences… »

L’idée-force du texte vise à « s’affranchir des particularismes culturels, religieux, nationaux ou sexuels dans la définition du citoyen. » L’exigence de l’auteur semble, somme toute, fort raisonnable : être considérée comme un individu, une personne avant tout, et non d’abord une femme; ou encore, suspendre la question du genre. Défendre une position universaliste, seule garante de la liberté : « Mesdames, vous êtes des personnes ! »

Belinda Cannone, La Tentation de Pénélope, Stock, janvier 2010, 214 p., 18€.

Gwenaëlle Ledot

 Article paru dans le  Normandie Magazine N°235, avril 2010.

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