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Category: Poésie

Christian Bobin, L’homme-joie

By admin, 16 septembre 2012 7:51

Captation

 

Au cœur de ce livre, il y a des pages bleues vers lesquelles on va, en un premier mouvement. Une déclaration absolue faite par l’auteur à une femme aimée.

Dans ce livre, l’enjeu sérieux est d’attraper le bleu, l’éclat du diamant, la lumière du monde. Fuir l’attrait de la mélancolie et capter un soleil éclatant : « Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C’est aussi simple que ça. »

Ce livre comme un pari : le bleu en majesté chassera la mélancolie. Il faudra saisir au fil des pages les vrais éclats de beauté et d’amour, rares. Ce qui rapproche de l’éternel. « Explosions intérieures, non décidables ». Aussi l’auteur nous parle-t-il de la musique et des fleurs ; de Glenn Gould et d’un paradis blanc ; de Dante, et d’un animal aussi.

« Les gitans, les chats errants et les roses trémières savent quelque chose sur l’éternel que nous ne savons plus. »

Car le secret est dans le regard autant que dans le monde vu : capter l’essentiel signifie adopter des yeux différents, pour un moment privilégié et bien sûr éphémère ; Christian Bobin les appelle « les yeux d’or ». Dans les courbes du texte se dessine un crescendo, l’écriture s’envole comme un Hallelujah païen.

Pas de mièvrerie, pas de naïveté. Ni l’auteur ni le lecteur n’oublieront la souffrance et le sang. Parfois la couleur des fleurs sera bue par l’ombre. Le sang des vivants disparaîtra. Il y aura des pleurs, de toutes couleurs. Des mains rougies de criminel.

Mais sous l’obscurité l’artiste tire le fil d’or, l’écriture qui invoque l’éternel.

 

Christian Bobin, L’homme-joie, éditions L’Iconoclaste, août 2012.

 

 

« Les fleurs sont les premières gouttes de pluie de l’éternel. »

Gwenaëlle Ledot.

Christian Bobin, Eclat du solitaire

By admin, 11 décembre 2011 12:12

Des pleurs, de toutes les couleurs.

 

Eclat du solitaire. Le recueil de Christian Bobin file et s’envole sur deux images en lutte : dans les premières pages, le dessin d’un visage, que l’on voit. C’est un autoportrait de Gilles Dattas. « Une tête qui porte plus de peine qu’une vie peut en supporter. »

Ce visage, on le retrouve partout, dans chaque rame de métro : « la tête de celui qui a perdu son travail, de celle qui vient d’apprendre qu’elle est trahie. Ce visage est le nôtre quand nous saisit le diable de la lassitude et que notre vie s’en va comme de l’eau, comme du sable, comme rien. »

« Ce visage, ambassadeur d’un pays détruit, affiche le stigmate de l’absolu. »

 

                

 

La deuxième image est celle d’un bouquet de pivoine. On ne le verra pas ; le respirer, peut-être, à travers les mots. Pivoines d’une vie flamboyante ou écrasée. Il éclate de son odeur, de ses couleurs.

Le texte trace son chemin à travers des parfums, des sons et des mots ; palpables ou non, déjà disparus : « L’arbre du langage a la respiration océane d’un concerto de Bach. » Chant des fleurs et des fêlures célébré par le poète.

Les pivoines explosent quelques pages plus loin. Elles sont écorchées. Elles donnent tout et deviennent martyres. Eblouies et déchiquetées.

Les cerisiers appellent une éternité japonaise. « La première fleur du thé. » Relire en silence, lorsque l’eau chantonne, la tombe de Proust, l’amour infernal de Swann.

Les pousses de muguet sont atomes de joie pour l’auteur. Cette joie fait souffrir.

Rassembleur de fleurs et de mots, le texte célèbre l’abolition de la vie par l’art : « L’humain se fait fantôme pour n’avoir plus à vivre ». Le mot, fantôme de l’existant, double le réel et console de la mort. Scintille le nouveau diamant, éclat du solitaire.

 

« Dans les cimetières, ce qu’on met en terre ce sont des sourires de toutes les couleurs. »

 

Eclat du solitaire, de Christian Bobin, Fata morgana, 2011.

 

Gwenaëlle Ledot

 

Guy Allix, Survivre et mourir

By admin, 23 mai 2011 9:58

Les cendres à venir.

 

Lecture de Survivre et mourir, de Guy Allix.

                Pleurer la chute. Chute solaire, vécue au ralenti… Reste à saisir les instants de feu, les instants de cendre, puis les instants, infinis, où il n’y a rien.

                Attraper les minutes de douleur fulgurante, celles où l’on existe encore. La vibration de la vie, le chant des choses, le vif du cœur.

                Le poème ou la cendre. La cendre de l’amour ou la vie…

                Le recueil de Guy Allix est placé sous l’égide, juste, de Saint Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion. » Ses poèmes sont aussi une histoire, un parcours. Récit de l’homme qui accepte la chute. Récit du poète qui enchante l’instant suspendu. L’écrivain qui prend le risque de la vie et du temps, lorsque le temps même « s’affaisse comme un linge perdu ». Devenu Icare, le poète ressuscite l’instant amoureux, « l’instant consenti ».

 

« Il y aura le temps de mémoire

De mensonge parfois

Le temps si court d’exister encore

Et puis viendra peu à peu

Le temps de l’oubli

 

Infini. »

 

Ce recueil est l’histoire d’une âme. On l’entoure de silence. Elle vibre, palpite, résiste, « dans la nuit de vivre ». On l’écoute.

Et ne rien ajouter…

« Je ne sais que cette voix qui ne sait pas

Et qui s’insurge

Et qui crie malgré tout

De dépit et de rage. »

…que la voix de Beckett :

« Cette voix qui parle, se sachant mensongère, indifférente à ce qu’elle dit, trop vieille peut-être et trop humiliée pour savoir jamais dire les mots qui la fassent cesser, se sachant inutile, pour rien, qui ne s’écoute pas… en est-elle une ?

Elle n’est pas la mienne, je n’en ai pas, je n’ai pas de voix et je dois parler, c’est tout ce que je sais, c’est autour de cela qu’il faut tourner, c’est à propos de cela qu’il faut parler. » 

 

Gwenaëlle Ledot.

Guy Allix, Survivre et mourir, éditions Rougerie, mars 2011, 15 euros.

Commander l’ouvrage.

Le site du poète Guy Allix.

 

Christophe Dauphin, Riverains des Falaises

By admin, 6 mai 2011 10:10

Un phare allumé sur mille citadelles…

Poètes normands ? Poésie en Normandie ? L’ambition de Christophe Dauphin, auteur de Riverains des Falaises (anthologie des poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours), est de questionner cette relation, sa légitimité, son sens. Quelle harmonie secrète entre le pays et l’art des mots ?

« La poésie est cet art très ancien et très neuf à la fois, par lequel les Normands, pour les meilleurs, ont toujours fracturé la réalité intérieure. La poésie parle face à l’abîme que nous sommes, n’avons cessé, et ne cesserons jamais d’être. La normandité pourrait qualifier cet état. C’est une affinité secrète qui relie entre eux les poètes normands. »

Qui sont les sentinelles de la normandité ? Le choix entre les poètes est difficile, évidemment subjectif, subjectif et revendiqué. L’ouvrage est riche et foisonnant, le lecteur est tenté de le dire complet : la réussite est totale.

Commence, sous l’égide de Léopold Sédar Senghor, un merveilleux voyage dans un pays, un langage, une culture qui se construit en métissage : « Je dis que les Normands sont des métis culturels… La normandité est, d’un mot, une symbiose entre les trois éléments majeurs, biologiques et culturels, qui composent la civilisation française : entre les apports méditerranéens, celtiques et germaniques. »

L’élan épique inaugure l’ouvrage : le premier chef-d’œuvre de la littérature française, La Chanson de Rollant, est en anglo-normand… Le Roman de Rou, de Wace, retrace l’histoire des ducs de Normandie. Viennent ensuite, sous la plume de Béroul et Thomas, la légende de Tristan, et d’Iseut la blonde.

Le seizième siècle est également florissant en Normandie : Christophe Dauphin rappelle à nous Pierre Gringore, personnage emblématique d’une tradition essentielle en Normandie, celle des grands satiristes. « Sots lunatiques, sots étourdis, sots sages / Sots de villes, de châteaux, de villages… »  signe le très savoureux « Cri du prince des sots ».

Viennent au dix-septième siècle Saint Amant, Corneille et Scudéry… Certains moins connus, telle Madame de Villedieu, dont on découvre avec heureuse surprise les sonnets, jugés à l’époque scandaleusement libertins.

Dans ce jardin des délices, on croisera l’hydropathe Jean Lorrain, le symboliste Remy de Gourmont  et le flamboyant Barbey… Rues de Valognes hantées par Gustave le Rouge, la grande lande de Lessay parcourue par Louis Beuve, l’espace normand soudain fragmenté par Jean Follain.

Enfin, l’auteur consacre une section indispensable aux Normands d’adoption : Hugo et Prévert, Neruda et Senghor… les contemporains Hughes Labrusse et Guy Allix : « Nous rentrerons dans l’ombre / Dont nous n’étions jamais sortis / Autrement que par cet amour »

Qu’est-ce alors que la normandité, Christophe Dauphin ? « La normandité pourrait donc bien se définir par un sens aigu et blessé du réel, par le je hypertrophié de l’individu, un état d’être vissé aux tripes comme la naissance et la mort. » La Normandie par le poète, enfin :

« Maisons bleues s’y mêle le gris du ciel »

« Cette pierre qui boit les regards comme en prière ».  (Loïc Herry, Ouest)

Riverains des Falaises, de Christophe Dauphin, éditions Clarisse, novembre 2010, 533 pages, 20 euros.

Gwenaëlle Ledot

Loïc Herry, Crise de manque

By admin, 30 novembre 2010 8:20

Éditer la poésie.

L’édition de la poésie en France demeure le fait des grands éditeurs généralistes tels que Gallimard, Le Seuil, Flammarion, Mercure de France, ou d’autres plus spécialisés (Seghers ou Verdier). Parallèlement, et avec passion, gravitent un grand nombre de petites maisons d’édition, parfois sous forme associative, qui ont à cœur d’ouvrir leur portes à de jeunes auteurs. Loïc Herry a bénéficié de ce soutien, lorsqu’en 1991 François David, fondateur des éditions MØtus, décide de publier son recueil Éclats. Basée dans le Cotentin, à Urville-Nacqueville, cette maison d’édition, dont l’activité principale est la littérature de jeunesse, continue depuis plus de vingt ans à publier des poètes. Outre Loïc Herry et François David, on retrouve au catalogue Michel Besnier, Marc Solal et Guy Allix.

Dans sa postface au recueil Crise de manque, Arlette Albert-Birot rend hommage aux nombreuses revues qui contribuent, elles aussi, à perpétuer la mémoire des poètes : Traces, Noir et blanc, Digraphe… Parole tenue, parole ténue, divin opium. « C’est un écho redit par mille labyrinthes… »

« C’est la couleur, c’est la parole du monde, déchirant doucement les teintes de l’automne. » (Loïc Herry, Crise de manque)

Aujourd’huier…

« Aujourd’huier

La bruine mouvement gris

Perles de lumière sur le pavé

Du marché. »

D’hier, d’aujourd’hui, Loïc Herry nous parle. Le jeune homme, le poète, est décédé d’un cancer à l’âge de 36 ans. Mais les textes cheminent. En 2003, une maison d’édition du Québec (Écrits des Forges) publie le recueil Ouest. Aujourd’hui, en 2010, les éditions Dumerchez font paraître Crise de manque, mosaïque de sensations, hymne à Christel, sa compagne. Éclats vibrants dédiés au pouvoir du mot. Car « Rien ne finit jamais. »

Ses amis continuent, eux aussi, à écrire et à dire la vie de l’écrivain : un autre grand auteur normand, Guy Allix, a consacré à son confrère, « ce passant considérable » quelques pages précieuses. « La voix épouse les paysages, tout à tour plus douce, comme légèrement vallonnée, ou plus rauque, à flanc de falaise. » (guyallix.art.officelive.com)

Et Loïc Herry passe, dans les rues de Cherbourg, la pointe de la Hague, les hameaux du Perche. Sentant, ressentant, en cristal, laissant les choses et les êtres le traverser et emprunter sa voix.

« Mon doigt d’enfant dessinait des voyages

Sur les pages vivement colorées

Du plus petit atlas du monde. »

Loïc Herry a voyagé. Ne cherchant pas le monde, ou le pays, mais bien plutôt le mot et la sensation : de New-York à Tahiti, de Florence à Cherbourg. « Là-bas où il n’y a rien. »

Une voix clouée sur une porte ? La touche obstinée de son écriture perdure aujourd’hui, par le recueil Crise de manque. La juste préface d’Hubert Haddad nous le rappelle : le poète est le seul vivant. Qui oublie la parole des hommes ; se laisse guider par le chant des choses.

« Ecoute !

-          Comme si un dieu devait parler

Comme si tu étais celui qui doit entendre »

 

Car rien ne finit jamais.

 

Loïc Herry, Crise de manque, éditions Dumerchez, 2010, 59 pages, 17 euros.

Gwenaëlle Ledot.

 

 

Article paru dans le Normandie Magazine N°239 - octobre-novembre 2010. 

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