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Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice

By admin, 23 décembre 2015 14:38

Afficher l'image d'origineCaeco carpitur igni (1)

La narratrice du roman a été abandonnée par un certain Titus, au profit de son épouse, appelée « Roma » : c’est l’origine d’un questionnement infini, littéraire et amoureux. La tragédie racinienne s’y invite naturellement, avec son cortège de doubles : la reine Bérénice, l’empereur romain Titus et l’abandon de l’une par l’autre (… invitus, invitam, comme on sait).

Qui est le double de qui ? La pitoyable histoire de la Nouvelle Bérénice était-elle en germe dans la trame antique ? Ou bien l’amoureuse moderne cherche-t-elle uniquement à cerner sa souffrance, usant des procédés de la musique racinienne : « Racine, c’est le supermarché du chagrin d’amour… » Disséquer les passions mène ici à un questionnement esthétique, stylistique, obsédant : d’où vient la mélodie de ce vers racinien ?

Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire…

Percer le mystère d’un triste alexandrin… La pulsation du style vit de transports affectifs mués en chapelets précieux. L’enjeu est de sonder l’énigme Jean Racine, sa vie-son œuvre, les trésors de sa plume ; ainsi, la fiction biographique construit un personnage complexe, habité par l’écriture et par ses lectures. Virgile sera la clef intertextuelle de la quête, le tiers nécessaire aux interrogations obsédantes et aux cendres de réponses… Et le chant IV de l’Enéide, gravé dans son esprit, devient le fil rouge de la douleur : la reine Didon « pallida morte futura » (déjà pâle d’une mort future) s’impose comme la silhouette qui précède et explique Bérénice. Plus tard, il y aura encore Phèdre : la fille de Minos et de Pasiphaé incarne, à son tour, une passion brûlante comme un or blanc.

La quête de Racine traque l’harmonie du vers, aiguisé par la douleur, par les douleurs. Un vers réitéré devient os ou couteau. Les émotions et les souffrances seront-elles contenues par les syllabes incantatoires De cette nuit Phénice as-tu vu la splendeur ? Ou suivront-elles comme un destin une chute en spirales …Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous… ?

Et que dire de l’art quand il s’agit de la vie ? La Bérénice narratrice ne sera pas reconnue par son Titus, la poésie minérale restera vaine. Alexandrin de cendres, de plomb ou d’or ne sauvera pas Bérénice, mais va l’entourer, l’enlacer, la ceindre de son obsession poétique : tous, finalement, iront obscurs dans la nuit solitaire.(2)

Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai, Paris, P.O.L., 2015.

Gwenaëlle Ledot.


1. Virgile, L’Enéide, Livre IV, cité par Nathalie Azoulai, p.45. « Elle se consume d’un feu aveugle… »

2. « Ibant obscuri sola sub nocte per umbram », Virgile, L’Enéide, cité par Nathalie Azoulai, page 39 sq.

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