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Gilles Perrault, Les deux Français

By admin, 30 décembre 2010 10:35

Et les corps sauvaient tout cela…

« Les corps sauvaient tout cela, écrit à peu près Montherlant à propos d’une réunion mondaine où il se rasait. » Et le corps, en effet, prend une place inédite dans le dernier ouvrage de Gilles Perrault. De cet ensemble aux facettes multiples, publié par l’auteur du Pull-over rouge et des Gens d’ici, on attendait bien sûr l’Histoire, l’espionnage, l’engagement politique.

Mais c’est l’ironie qui nous surprend, dans ce recueil de petits récits, tous également rapides et efficaces. Que l’Enfer soit individuel ou collectif, la dimension dérisoire des existences éclate, page après page. Les personnages existent en fonction, surtout, de ce qu’ils ne sont pas. Marianne est-elle une femme légère ou une héroïne moderne, nouvelle Boule de suif ? René un héros de la Résistance ou un homme simple emporté par les événements ? Des rencontres fortuites révèlent l’absurdité des destins et des lettres d’adieu préparent un départ certain pour le néant : « Toute vie est bien entendu un processus de démolition. » Il y a des traîtres par hasard (« C’est sa faute à lui, sa faute à elle, c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne ») et des héros par hasard. Le doute hyperbolique s’étend sur ces grands ou petits univers.

Les guerres elles-mêmes passent, laissant les hommes endoloris, mais sans certitudes : « Je me serais cru à une réunion des anciens combattants de mon village normand, naguère, quand les poilus de 14-18 regardaient de haut leurs cadets de 39-40 dont la conduite au feu paraissait pour le moins critiquable, les deux catégories s’accordant néanmoins pour considérer comme moins que rien les anciens d’Algérie qui n’avaient participé qu’à des opérations de « maintien de l’ordre » et non à une vraie guerre. » Hiérarchie dérisoire des douleurs et des peines : la guerre elle-même, et la mort aussi, échouent dans l’ère du soupçon.

Que reste-t-il, après tout cela ? Le corps, qui n’est pas bien sérieux, avant ou après dix-sept ans. Qui erre inassouvi, ou se laisse porter par des pulsions parfaitement avouées. S’il faut que le corps exulte, il rappelle surtout les hommes à la raison, et à l’inévitable issue de toute chose.

Les deux français… et autres récits, de Gilles Perrault, Paris, Fayard, septembre 2010, 290 pages, 19 euros.

 Gwenaëlle Ledot.

Article paru dans le Normandie Magazine N°240 - décembre 2010. 

 

 

 

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