RSS RSS

Category: Documentaires

Camille Laurens, Les fiancées du Diable. Enquête sur les femmes terrifiantes

By admin, 9 mai 2012 16:11

Noli me tangere.

 

 

Une problématique universelle portée par Camille Laurens se déploie dans ce flamboyant ouvrage d’art et d’histoire : l’éternel féminin, en origine du monde et origine du mal ?  Une interrogation déclinée sous forme picturale et littéraire, de l’Antiquité au vingt-et-unième siècle : d’Eve à Lilith, projections fantasmatiques et provocations existentielles questionnent naissance, mort, destinée humaine :

« La Femme ?

J’en sors,

La mort

Dans l’âme… »[1]

 

Fin de siècle et peinture décadente multiplient les provocations : femme-serpent (de Franz von Stück), femme chauve-souris (Pénot), femme-araignée (Kubin). L’horreur du féminin, à son comble, a rarement été aussi explicite : le danger est palpable, mis en images et en mots. Les mystères supposés et les menaces sourdes sont métaphorisés et peints : allégories de Félicien Rops, sonnets de Baudelaire façonnent une créature projetée par le désir, captivante et mortifère.

L’enquête de Camille Laurens requiert de croiser Simone de Beauvoir aussi bien que Freud ou Virginie Despentes : comment expliquer ce rapprochement peint, écrit, sculpté, entre la femme et l’élément primitif ? L’être animal ainsi associé au féminin semble « hanter l’imaginaire et les représentations depuis l’Antiquité, et ses avatars sont innombrables ».

Judith et Salomé entrent dans une danse séduisante et macabre. Puis Dalila, Circé, Morgane. Femme-sirène chez Chagall. Sabbat des sorcières chez Goya. La fille terrifiée devenue femme terrifiante, stigmatisée par une peur ancestrale et un rejet primitif. La danse continue : de Mérimée à Bukowski, la femme est ensorceleuse, et l’ensorceleuse vouée à la mort.

« L’homme se défend contre la femme en tant qu’elle est source confuse du monde et trouble devenir organique. » résume Simone de Beauvoir.

Captivants trésors iconographiques, enchantement irrésitible de formes et de couleurs, qui cachent une vraie misère idéologique : identification hâtive de ce qui peut être « l’Autre » (Autre de l’homme ? Autre de l’humain ?), rejet, angoisse et condamnation.

 

Les Fiancées du Diable. Enquête sur les femmes terrifiantes, de Camille Laurens. Editions du Toucan, 2011.

 

 [1] Jules Laforgue

Gwenaëlle Ledot



[1] Jules Laforgue

Bruno Centorame, Les Illustrateurs de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly

By admin, 2 janvier 2010 16:08

Phares obscurs

 

On s’attend à une nouvelle exploration de l’univers de Barbey, mais c’est un autre voyage que Bruno Centorame nous prépare: une étrangeté inquiétante et familière, une descente dans une époque spirituelle et diabolique, perverse et inventive : Les Illustrateurs de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly.

Constat d’une difficulté : « Illustrer un auteur tel que Jules Barbey d’Aurevilly peut sembler de prime abord une tâche difficilement surmontable, tant la richesse et la complexité de l’œuvre du Connétable des Lettres paraissent susceptibles de déconcerter un artiste exigeant… » Barbey a été longtemps classé parmi les auteurs « inillustrables ». Qui, par ailleurs, s’est souvent montré juge sévère pour ses propres illustrateurs…

Combien sont-ils alors, qui ont relevé le gant ?
Félix Buhot vient le premier: c’est un contemporain de Barbey, qui excelle à restituerl’atmosphère aurevillienne. Dès 1878, il livre une interprétation magistrale d’Une vieille maîtresse. Natif de Valognes, « ville adorée » de Barbey, Buhot se plaît justement à restituer les aspects les plus caractéristiques de « son cher petit Valognes ». L’auteur souligne la force expressive de ce maître de la gravure, son trait vif et précis. Les études pour Un chemin de perdition, magnifiquement reproduites dans l’ouvrage, révèlent « sa fidélité à l’esprit d’un certain romantisme noir ». La composition la plus magistrale de Buhot étant, selon Bruno Centorame, la chevauchée nocturne de l’abbé de La Croix-Jugan dans la lande de Lessay : vision spectrale, tourbillon éperdu.

Barbey par Félicien Rops: rencontre extraordinaire! Le jugement de Barbey est savoureux et implacable : « Rops a embourgeoisé le Diable. » Il est, par essence, le Scandaleux de l’époque décadente. Bruno Centorame rappelle justement qu’ « en acceptant que Félicien Rops illustrât les Diaboliques, Barbey fit montre d’une indépendance d’esprit bien dans sa manière. » Rops est un genre à lui tout seul: licencieux, méphistophélique. Il joint magnifiquement et étrangement son univers personnel à celui de Barbey et livre une lecture unique, vertigineuse, tragique, perverse et désespérée.

D’autres viennent alors : Alfred Kubin, dessinateur et écrivain allemand du tournant du siècle. Célèbre pour L’Autre Côté, ouvrage sulfureux et profond, il s’est attaqué à son tour, et à sa manière, au Bonheur dans le crime. La panthère de Kubin s’associe à Hauteclaire : le bestiaire de la Décadence marie sa symbolique visionnaire aux thèmes aurevilliens.

On découvre Donald Denton : c’est la couverture de ce magnifique ouvrage, attractive et fascinante : Ce qui ne meurt pas de 1928, sous l’influence certaine d’Aubrey Beardsley.

 

Page de manuscrit d'un ouvrage

Page de manuscrit d'un ouvrage de Jules Barbey d'Aurevilly (Musée de Saint Sauveur Le Vicomte - Manche)

…Et l’on s’en veut de ne pas évoquer les autres, si nombreux, dont les œuvres démontrent brillamment la puissance suggestive des ouvrages de Barbey: Alastair et Ivanoff, dont Bruno Centorame évoque l’univers avec subtilité. Des échos plus proches: Marc Ollivier, Florence Burnouf, Guillaume Sorel, Christophe Rouil…, tous rappelant à nous les vers fameux de Baudelaire:

 

« Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium ! »
(« Les Phares » in Les Fleurs du mal)

 

 

 

Les Illustrateurs de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly de Bruno Centorame, éditions Isoète, 2008, 138 p., 25 €.

Gwenaëlle Ledot.

Article paru dans le Normandie Magazine n° 228 (avril-mai 2009)  

Persephone Theme by Themocracy