RSS RSS

Gilles Leroy, Zola Jackson

By admin, 9 juin 2010 17:01

« Car l’on paie toujours cher sa volonté d’être »


Louisiane, fin août 2005 : l’ouragan Katrina s’est abattu sur La Nouvelle-Orléans. Zola Jackson, vieille institutrice d’un quartier pauvre, refuse d’évacuer les lieux sous la menace diluvienne. Elle rassemble ses souvenirs, se rassemble elle-même. Demeure, avec sa chienne Lady, dans sa maison circonscrite par les eaux.Commence alors l’épopée intérieure de Zola Jackson. Une vie entière de souvenirs et d’êtres aimés, quelques-uns seulement, qui ont peuplé une existence : son mari Aaron, son fils Caryl, disparu lui aussi, et les habitants de son quartier. Car on ne quitte pas cette ville. « On y est né, on y a souffert à peu près tout ce qu’une créature du Seigneur peut y encaisser, et on y reste. Ce n’est pas le goût du malheur, non, et pas faute d’imagination. C’est juste qu’on a personne d’autre où aller. »Portrait de La Nouvelle-Orléans, dont l’auteur fait deviner toute la couleur particulière, l’étrangeté chatoyante bien distante du rêve américain : « Nous demeurons pour eux la cité barbare, celle qui ne voulait pas apprendre l’anglais, qui n’aurait jamais le goût du puritanisme, qui fraternisait avec les Indiens et qui, comme eux, adorait les esprits du fleuve Mississippi avec bien d’autres divinités arrivées comme nous du monde entier et comme nous chamarrées. » Le goût de la Louisiane : cannelle, colombo, cumin… piment oiseau et lait de coco. Comme la prière qui s’élève de Zola Jackson.Pas de misère, pas d’apitoiement, juste de l’émotion, sous la plume de Gilles Leroy : la force d’évocation est restée intacte depuis le prodige d’Alabama Song (Goncourt 2007). La tragédie sait faire place, par éclats, à l’humour acide du personnage principal. L’histoire de Zola Jackson est juste un concentré d’humanité. Espoir inclus.

Zola Jackson de Gilles Leroy, Mercure de France, 2009, 140 pages, 15 €.

Gwenaëlle Ledot.

 Article paru dans le Normandie Magazine N° 236, mai 2010.     

 

Nina Bouraoui, Nos baisers sont des adieux

By admin, 9 juin 2010 16:49

Amours, délices et orgues


Nina Bouraoui est l’auteur de La Voyeuse interdite, qui fut couronné du prix du Livre Inter en 1991. Mes Mauvaises Pensées a reçu en 2005 le prix Renaudot. Le dernier opus, au titre programmatique Nos baisers sont des adieux, est un album sans photos, qui orchestre la danse douce-acide des lieux et des années : « Sasha, Paris, 2009 ». « Astrid, Paramé, 1986 ». « Nathalie, Paris, 1994 ». L’auteur traque dans sa mémoire les amours passées et présentes, découpe et cisèle, comme au couteau, des tranches de vie amoureuse. Tour à tour d’amertume et de suavité, isolant le tremblé de la passion, les pages s’offrent en écho à la dédicace des Mauvaises pensées : « À ma famille amoureuse. » Ainsi renaissent les amantes des textes passés, évocations fantomatiques ou figures pérennes de la passion : l’Amie de Paris, la Karen de Zurich. « La fragilité permet l’écriture », selon Nina Bouraoui. Elle porte en effet cette exigence absolue d’écrire avec « les yeux qui regardent vraiment. » Ce regard, âpre, s’attarde alors sur un tableau d’Egon Schiele, œuvre comme une icône de son œuvre : « Un tableau d’attente et de silence », comme une autre image du désir.L’écriture, tendue et vibrée, obéit à une pression inconnue, à une urgence jamais nommée. La vie de Nina passe vite, rythmée par les mots et l’amour. La tension est celle de la vie qu’il faut saisir ; de l’âme de l’Autre, comme une douleur, possédée ou disparue.Des moments intimes arrachés au temps, des moments qui vont jusqu’au bout de la souffrance aussi. Éviter le tiède. Évoquer, découper et peindre. Nina Bouraoui écrit en prose le poème lancinant du désir amoureux.

Nos baisers sont des adieux, de Nina Bouraoui, éditions Stock, 2010, 219 pages, 18 €.

Article paru dans le Normandie Magazine N° 236, mai 2010.     

 Gwenaëlle Ledot.

 

 

Persephone Theme by Themocracy