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Charles Dantzig, A propos des chefs-d’oeuvre

By admin, 23 janvier 2013 11:16

Les choses tues.

 

Dans cet essai virevoltant, on reconnaît une écriture entre mille : gracieuse, délicate, légère. Autant de qualificatifs autrefois attribués par Charles Dantzig à Marivaux[1]. On conclurait volontiers à l’identique : « C’est un vol de roses, cet homme ».

Que sont les chefs-d’œuvre ? Inclassables, tenaces, immédiats ? Jeunes éternellement. Nécessaires. « Mais qui sont-ils, dis-moi, ces vagabonds, ces êtres / un peu plus fugitifs encore que nous-mêmes ? »

L’intuition qu’il n’y a rien de commun, et pas nécessairement de règles. Qu’ils imposent par surprise leur couleur, ou leur musique (musique et couleur qui sont bien autre chose que la vie, même si elles portent aussi la vie). Pas un simple récit, ni une simple narration. Car notre vie est « pleine de hoquets, de riens, d’inutilités, d’illogismes ». Sottement bariolée. Le chef-d’œuvre, au contraire, sera une victoire sur l’informe.

La narration n’est pas nécessaire aux chefs-d’œuvre, et le « sujet » généralement pas ce que l’on croit. Oublions démonstration, cause et message.

Alors quoi ? Une vision, un langage ? Une nécessité de dire, parce que « les choses tues tuent ». Une architecture parfois, mais pas toujours telle qu’on l’imagine : ici, Madame Bovary devient « une rue à arcades, élégante et morne » et La Recherche une lasagne farcie…

Les chefs-d’œuvre sont - cela est acquis - anarchistes : autant de petites bombes dans les certitudes et les essais explicatifs. Car le chef-d’œuvre échappe, par essence : « chaque société a régulièrement inventé des causalités utiles, main de Dieu, psychologie, social, et régulièrement des chefs-d’œuvre sont venus les saboter. Le chef-d’œuvre est un anarchiste qui pose une bombe dans les paresses. »   

Avec quelque chose de Marivaux, et quelque chose de Voltaire. Le texte circonvient la question par le style, la finesse et l’ironie, bien sûr. Il s’agit de conjurer l’ennui et défier l’issue fatale. Sans espoir, mais de chic.

« Quel ennui serait la vie sans chefs-d’œuvre. Seuls la plupart des hommes pourraient y vivre. »

A propos des chefs-d’œuvre, Charles Dantzig, Paris, Grasset, janvier 2013.

Gwenaëlle Ledot.

 


[1]

Dictionnaire égoïste de la littérature française

 

 

 

 

 

 

 

Christian Oster, En ville

By admin, 13 janvier 2013 8:55

« A moins qu’il ne se fût agi d’une mousse… »

 

Quatre personnages masculins évoluent dans le dernier roman de Christian Oster : Georges, Paul, William et Jean (le narrateur). En 2008, les héros incertains de Trois hommes seuls étaient en partance. Dans le nouvel opus, ils restent. Et caressent sur une centaine de pages un projet plutôt flou de vacances en Grèce.

L’essentiel est ailleurs, ou nulle part. Dans la délicieuse insignifiance qui aplanit l’horizon romanesque ; l’écriture pose dans cet espace quelques personnages, « flous » eux-mêmes, et de petites choses qui envahissent. Ainsi, la première scène du roman est saturée, curieusement, par un dessert : « le gâteau, lui-même éventuellement mou, avec de la crème, à moins qu’il ne se fût agi d’une mousse, avec cette manie qu’ils ont tous maintenant de faire des mousses ». Plus loin, les pensées du narrateur circonviennent un panorama parisien, l’envisagent à l’infini, l’effleurent : « Je me suis demandé cette fois si ça m’intéressait d’avoir la Seine dans mes fenêtres, et je n’ai pas su, j’aurais eu besoin de parler à quelqu’un, je crois, à quelqu’un qui ait eu une opinion sur la Seine, sur l’intérêt de vivre avec une vue sur la Seine… »

Jean travaillant dans l’édition avec un auteur astrophysicien, son existence professionnelle se trouve ponctuée par l’irruption inattendue de la planète Saturne : « Tout était compliqué dans le système solaire, et au-delà aussi, bien sûr, et, comme il en était à Saturne et qu’il avait des soucis d’ordre privé, il bloquait sur Saturne, mais Saturne n’y était pas pour grand-chose. » La vie personnelle de Jean ne sera pas exempte de rebondissements et de drames, traités sur un mode identique : caresser l’existence, fluide, avec un désespoir, ou un non-espoir absolu qui n’empêche pas le sourire. Ecriture aérienne et, dans les douleurs mêmes, insoutenable légèreté d’une mousse littéraire.

« Moi, je préférais surmonter les choses. De toute façon, comme tout le monde, je n’avais pas le choix. Je croyais beaucoup à la distraction, à la lecture, au cinéma. La philosophie ne m’avait pas aidé. »

Concentré d’existence émulsifié, où le drame reste à la surface. Sans autre choix.

 

En ville, Christian Oster, Paris, Seuil, 2013.

Gwenaëlle Ledot.

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