Le bruit que fait le bonheur en partant
Le bruit du texte, comme une célébration : mot à mot, Jean-Louis Fournier dessine le portrait de sa femme, brutalement décédée, aujourd’hui disparue. Des petites touches, qui veulent dire la vérité du sentiment, de la souffrance et du souvenir. Des souvenirs qui collent, une image qui reste, têtue. Une exigence qui s’impose. Le texte traque l’expression juste, parce qu’il y a là une nécessité : rendre l’hommage de la vérité à une silhouette lumineuse.
« A toi qui es devenue entièrement légère. Tu es maintenant impondérable. Tu ne ferais même pas osciller l’aiguille d’un pèse-lettre.
Tu es en apesanteur, légère comme un nuage, une buée, un parfum, un souvenir… »
Le souci obstiné de dire vrai, tout en finesse aussi : la plume comme une harpe. Délicatesse et politesse du désespoir. « Il est poli d’être gai », rappelle Voltaire en épigraphe.
« Je n’ai jamais pleuré, je crois, quand tu es morte. J’ai envie de dire que j’étais trop malheureux, et les larmes paraissaient dérisoires. Je pleure seulement au cinéma, parce que c’est du cinéma. »
Le chemin qu’on fait, nécessaire. La tempête de la douleur sur une existence prostrée. Puis l’idée qu’on va malgré tout, étrangement, continuer. Et comment ? En demi-teinte sans doute, cette âme qui survit :
« Mes souvenirs continuent à briller comme les étoiles mortes. Le passé me semble parfait, le futur pas très sûr. Je préfère conjuguer l’irréel du présent. »
Veuf, de Jean-Louis Fournier. Stock, 2011. Livre de poche, février 2013.
Gwenaëlle Ledot.
Biodégradable
Le corps humain est biodégradable : l’une des choses que vous apprendrez par le dernier opus de Jean-Louis Fournier (Prix Femina 2008 pour Où on va, papa ?) En fait, Jean-Louis Fournier ne va plus. À sa manière, caustique et savoureuse, il s’emploie surtout à ciseler quelques vérités : « Mon arrière-grand-père est mort, mon grand-père est mort, mon père est mort… Je crains que ce soit héréditaire. » Le texte, drôle et amer, acide et pétillant, fait défiler quelques personnages ou objets iconiques : une Alice du passé que l’auteur ne reconnaît plus ; un fauteuil-relaxe comme cadeau de retraite ; un toboggan comme métaphore de l’existence. Pierre Desproges, collaborateur et ami intime de Fournier, est toujours dans les parages. Par surprise, après le cynisme léger et l’humour décapant, la poésie, au détour d’une phrase. Comme par hasard, comme la politesse d’un grand : « Avant, je vidais mon verre très vite, je voulais le finir tout de suite, je croyais qu’il y avait une surprise au fond. Je n’ai rien trouvé. »Suivent quelques historiettes pour une destinataire de choix : sa psy. Tous ses lecteurs savent bien que Jean-Louis Fournier n’a pas été épargné par l’existence, mais le but de l’entreprise peut ici vous surprendre : « Ma psy est tristounette, je vais essayer de la requinquer ». Paraboles légères et contes subtils s’enchaînent. La sagesse de Fournier est celle des hommes qui ont cessé, comme l’écrivait Desproges, de « caracoler derrière leur vie ». Avec un résultat, d’ailleurs : « Aux dernières nouvelles, ma psy va beaucoup mieux. Moi, c’est une autre histoire. »Mon dernier cheveu noir, suivi de Histoires pour distraire ma psy, de Jean-Louis Fournier, éditions Anne Carrière, mai 2009, 317 p., 19,50 €. Article paru dans le Normandie Magazine N° 230 Eté 2009
Gwenaëlle Ledot
Sociologie du mot
En épigraphe, une citation de Coluche donne le ton : « Un jour, Dieu a dit : “Je partage en deux : les riches auront de la nourriture, les pauvres auront de l’appétit.” » C’est dit : Jean-Louis Fournier ne craint ni la provocation, ni la caricature, ni, bien sûr, un cynisme salutaire qui est depuis longtemps sa marque de fabrique. On retrouve donc avec plaisir, par son dernier opuscule, le créateur d’Antivol et de la Noiraude (si, si!) l’ami et collaborateur de Pierre Desproges, l’auteur de l’excellent Où on va, papa ?, Prix Femina 2008.
Les Mots des riches, les Mots des pauvres est hilarant et triste. C’est du Fournier. Du Fournier en vignettes caustiques et percutantes, illustrées dans l’esprit par Jean Mineraud. Quelques sentences définitives :
« En pauvre, chambre d’amis se dit canapé convertible. »
« En pauvre, invitation se dit convocation. »
Ainsi, répondant au questionnement lancinant de la rubrique précédente et de Jean-Loup Chiflet, nous pouvons désormais l’affirmer avec certitude : « En pauvre, Fauchon se dit ED. »
Au-delà de la formule choisie et volontiers acide, les réalités de la misère vraie et de l’injustice quotidienne :
« Pourquoi les salles d’attente sont-elles remplies de pauvres, jamais de riches ?
Monsieur Riche n’a pas le temps d’attendre, parce que tout le monde l’attend. Il lui faut tout, tout de suite. Quand il regarde sa Rolex qui vaut sept ans de salaire de Monsieur Pauvre, Monsieur Riche vérifie que le temps, c’est de l’argent.
Quand il regarde son tarif horaire sur sa fiche de paie, Monsieur Pauvre voit que son temps, ce n’est pas beaucoup d’argent. »
Fournier, qui a connu le vrai malheur, ne connaît pas la condescendance. C’est donc sans hésiter qu’on le suivra sur ce chemin, coup de griffe humoristique à des vérités hélas inchangées.
Les Mots des riches, les Mots des pauvres, Jean-Louis Fournier, éditions Anne Carrière, mai 2009, 147 p., 17 €.
Article paru dans le Normandie Magazine (n° 231, septembre-octobre 2009) 
Gwenaëlle Ledot.