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Posts tagged: Pascal Fioretto

Pascal Fioretto, un condamné à rire s’est échappé

By admin, 21 novembre 2014 14:21

L’humour fou.

L’humoriste Pascal Fioretto se veut faire plume sérieuse. Ecrire un « vrai » livre et effacer l’amuseur à succès, le brillant pasticheur. Laisser derrière soi La Joie du bonheur d’être heureux, le Gay Vinci Code, Et si c’était niais… Cesser d’être potache pour revêtir le costume d’Ecrivain. Interroger la dynamique de création, se livrer à l’introspection, chercher çà et là le précieux matériau de l’écriture.
« Où irais-je, si je pouvais aller ? »
Enoncé à portée heuristique et hautement énigmatique, convoquant Samuel Beckett en tête de chapitre. Au hasard des pages, le lecteur croisera encore Alfred de Musset et Maître Gims, Héraclite et Virginie Despentes, Houellebecq et Lou Reed. Eclectisme, quand tu nous tiens… L’écrivain sérieux à peine sorti de l’œuf se lance dans les apories de la création littéraire, les angoisses page-blanchesques, les aurores sombres et les nuits stériles. Peine perdue. Chaque page, presque chaque ligne, est un petit délice (féminin quand pluriel) ; un petit sourire littéraire nourri de dérision.
Pas d’événements et peu de personnages, excepté l’heureux Marco et le savoureux Saturnin, « prof alternatif pour enfants en difficulté dans une école d’obédience Dolto ». Ce dernier, décroissant convaincu et prosélyte, volontiers sentencieux, balade ses certitudes sur « un vieux vélo hollandais qui couine ». Dans cet univers de rurbains s’immiscent Pascal Fioretto, auto-défini comme « parasite culturel désœuvré », sa mélancolie littéraire et sa page (souvent blanche, raturée, désespérante). L’auteur se remémore ses années de gloire, celles où l’on tutoie « l’ennui mortel des espaces culturels, des galeries marchandes et des cocktails offerts par les conseils généraux. » Jusqu’au moment où il décide, à l’instar d’illustres prédécesseurs (tels Salinger et Daft Punk), d’échapper au monde vertigineux de l’après-vente. Sous l’égide de Rilke et de Mort Shuman (selon l’humeur du jour), notre homme se lance donc dans une autre écriture. Pas si lointaine finalement, pas si différente…

Un condamné à rire s’est échappé, de Pascal Fioretto, éditions Plon, Paris, septembre 2014.

Gwenaëlle ledot.

Pascal Fioretto, Nos vies de cons. Petit dictionnaire énervé

By admin, 9 mai 2012 16:27

Peintre de la vie moderne

 

« Life is a bitch, and then you die » (proverbe anglais)

Notre époque (postmoderne, hype, bio, numérique, twitteuse, infantile, inculte et dérisoire) se dessine sous la plume aguerrie de Pascal Fioretto. L’auteur croque avec gourmandise (et l’élégance du maigrichon) quelques figures alphabétiquement ordonnées : l’Adulescent, l’Artisan, l’Arty, le Blogueur, le Cadre… Morceau choisi : la visite de l’artisan.

« A la torture physique (la radio calée sur Chéri FM et la trépigneuse hydraulique à mèche titane qui fait sauter les plombs), l’artisan ajoute volontiers la culpabilisation : « Ouh là là ! Mais ça fait combien de temps qu’il a pas décolmaté le réinjecteur ? » et la punition humiliante : « On a un problème pour aléser le rivet de sertissage de la vrillette du chauffe-eau : vous allez rester trois semaines sans manger ni vous laver. »

Les portraits défilent, irrésistibles, jubilatoires : si donc le sourire peut sauver du désespoir, Desproges est vivant. Même verve, même justesse dans l’instantané (numérique, bien sûr).

 « La sagesse populaire oppose couramment le cadre du privé, payé avec notre argent, et le cadre du public, payé avec nos impôts. Mieux rémunéré, le cadre du privé peut s’offrir une maîtresse à talons hauts et un infarctus foudroyant tandis que le cadre du public doit se contenter d’une secrétaire en arrêt maladie et d’une dermite chronique. Dans l’Eurozone, les espèces les plus courantes sont le cadre exploité, le cadre surbooké, le cadre stressé, le cadre pressuré, le cadre harassé, le cadre séquestré, le cadre suicidé et le jeune cadre. »

Lettre à lettre, Fioretto devient le chantre du Blues des aires d’autoroute, le rhapsode des retours en RER, le ménestrel des abonnements au Gymnase club et des open space…  Douce petite musique de l’ère moderne: on-line shopping, speed dating, fast divorcing…

Sélectionnons dans ce Petit dictionnaire énervé, et par snobisme pur, l’entrée « Weltanschauung » : « Plus mes cheveux tombent, plus ma Weltanschauung s’éclaircit. A croire que c’était ma frange Jean-Louis David qui m’empêchait de bien voir les trucs importants. »

Désenchanté et désabusé, d’une ironie tranquille, l’auteur suit son temps. Une certitude : l’écriture sauvera tout cela.

(Marco aussi, peut-être.)

Nos vies de cons, Petit dictionnaire énervé, de Pascal Fioretto. Editions de l’Opportun, 2012.

Gwenaëlle Ledot.

Alain Rémond, Le cintre était sur la banquette arrière

By admin, 20 décembre 2009 17:04

Des cintres et des hommes

Alain Rémond, pourfendeur de cintres et grand défenseur des banquettes arrière, a nourri de ses chroniques douces-amères, subtiles et souriantes, les lecteurs de Télérama et de Marianne. Sel de l’ironie et esprit humaniste, Alain Rémond n’a rien perdu de ses engagements de jeunesse et de l’acuité des premiers textes. On n’oublie pas qu’il nous a fait parfois pleurer, ni la douleur partagée de Chaque jour est un adieu (publié en 2000), premier volet d’un triptyque autobiographique empreint de sobre sincérité. Construit autour de quelques mots de Chateaubriand (« Tous mes jours sont des adieux »), construit autour de quelques fragments d’enfance, le texte d’Alain Rémond nous avait emmenés, doucement, dans la quête du moment précieux, celui où tout bascule: « Je vais maintenant aller à pas comptés, je marche au bord du gouffre. » Le bonheur de l’enfance mêlé aux rires brisés, le narrateur y chasse des journées lumineuses et enfuies,
« tremblantes et frémissantes » : « Trop de souvenirs. Trop de bonheur. Trop de morts. » Cette quête autobiographique en suspens, Alain Rémond s’emploie, entêté, à faire sourire et réfléchir ses contemporains : Le cintre est sur la banquette arrière, recueil savoureux de chroniques initialement publiées dans Marianne, vient de paraître. Il y est question de manchots, de « textique », de chou farci et de politique. Donc de la vie. C’est à lire.

 

Sourire et réfléchir ? Salutaire et corrosif, Pascal Fioretto est, lui aussi, de retour. Non pas pourfendeur de cintres, mais, de son état, traqueur de bêtise et de mercantilisme. Après nous avoir régalés dans Et si c’était niais ? (publié en 2007) de son talent de pasticheur, il revient avec La JOIE du BONHEUR d’être HEUREUX (enrichi en Oméga 3). Où il s’attaque aux bradeurs de vie, aux camelots condescendants de la société moderne, aux marchands de bonheur de tout poil : numérologues, psychologues de bazar, coaches de vie conjugale, « médecins doux » autoproclamés, « résilienceurs » professionnels. L’héroïne de Fioretto, pauvre Emma Bovary d’époque contemporaine, verra venir à sa rescousse autant de Bouvard et Pécuchet modernes et incompétents : elle expérimentera tour à tour « le jeûne dînatoire âyurvédique » et le « yoga des paupières ». Achètera un « drap de cuivre pour évacuer les ions négatifs » ainsi qu’un « oreiller en balle d’épeautre et un diffuseur d’huiles essentielles » ; apprendra avec Poalo Coalo, l’écrivain-archiviste, qu’il faut « réenchanter sa rivière secrète pour passer sur l’autre rive de soi-même », et dans le fameux magazine PsychoPlus que « chacun d’entre nous a une légende à écrire, en lettres de feu, sur le parchemin de l’histoire » ; elle éprouvera encore « l’action purificatrice, équilibrante et reconstituante des Oméga 3 » et comprendra, enfin, pourquoi les hommes mangent des Mars et les femmes du Bifidus…

Que ceux qui n’ont jamais hanté les rayonnages de Développement Personnel, avalé des « décoctions de diachylum arsenical bio » prescrites par quelque aroma-naturothérapeute, parcouru fébrilement les écrits de « Sébastien-Stéphane Schreiban-Server » afin de « guérir sans être malade » jettent à l’héroïne la première pierre : quête du bonheur trop humaine et trop moderne, vente à l’encan du désespoir contemporain. Bref, on a le droit de préférer Pascal Fioretto en pasticheur de génie dans Et si c’était niais ?, mais pas celui d’ignorer l’émergence de cette plume bienfaisante et caustique : osons le dire, la lecture de Fioretto est recommandée pour la santé.

Alain Rémond, Le cintre était sur la banquette arrière, Petites chroniques de la vie quotidienne, Seuil, mai 2008, 243 pages, 17 €.

Pascal Fioretto, La JOIE du BONHEUR d’être HEUREUX (enrichi en Oméga 3), éditions Chiflet, mai 2008, 214 p., 15 €.

Gwenaëlle Ledot

 

Article paru dans le Normandie Magazine N° 224 de septembre-octobre 2008.

 

 

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