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Milan Kundera, La fête de l’insignifiance

By admin, 20 mai 2014 14:18

« Dites, quoi donc s’entend venir
Sur les chemins de l’avenir
De si tranquillement terrible ? »

(Emile Verhaeren « La révolte »)

 

 

Quid du dernier texte de Milan Kundera ? On en dira la légèreté, puisque le titre et l’auteur nous y invitent. Puisqu’une plume se pose, iconique, au milieu du récit. On parlera de Ramon, qui flâne dans le jardin du Luxembourg, observe et ne décide rien. On pensera à son ami D’Ardelo qui s’invente, étrangement, une grave maladie. A tous les personnages de cette ronde romanesque, qui se croisent, se parlent ou non, et jamais ne se comprennent :


« Oui, c’est comme ça, dit Ramon. Les gens se rencontrent dans la vie, bavardent, discutent, se querellent, sans se rendre compte qu’ils s’adressent les uns aux autres de loin, chacun depuis un observatoire dressé en un lieu différent du temps. »

Chaque personnage porte sa théorie, sur tout, sur rien… Chacun a son anecdote. Tous entrent dans la danse enfantine de l’existence : dépourvue de pesanteur, car dépourvue de sens.

De cette ronde se détachent plusieurs temps graves : une tentative de suicide qui se transforme en meurtre. Une mère qui refuse son fils. Un écrivain (Alain) qui finalement n’écrira pas. Ce sera sa plus grande gloire, « la gloire du très grand poète qui, grâce à son humble vénération de la poésie, avait juré de ne jamais écrire un seul vers. »


Le personnage de Charles est absorbé dans la contemplation d’une plume qui volette ; devrait-il y lire l’arrivée imminente d’un ange ? Probablement pas. Le vertige des signes, du sens désespérément traqué, d’un monde dédoublé, est pour les hommes une tentation permanente. « Chacun s’entoure de ses propres signes comme d’un mur de miroirs qui ne laisse filtrer aucune voix du dehors. »(1) Plus de fêtes galantes.


Ce monde fragmenté se reflète dans les yeux de chaque personnage comme dans un prisme isolé. Il n’en restera que des miettes, ou des brisures. Reste aux hommes un monde résolument non-signifiant. Reste à ponctuer ce désarroi tranquille par des rires : 

 

« Le monde des adultes éclate de rire. Le monde des adultes sait bien que l’absolu n’est qu’un leurre, que rien d’humain n’est grand ou éternel… »(2)

 

La ronde romanesque ne deviendra pas valse tragique. Ce que portent les petites icônes du récit (plume, nombril, armagnac ou perdrix), c’est la résistance têtue du réel et l’absence d’autre chose. L’absence métaphysique. L’absence du double :
« Je suis autre et moins que moi-même, ce qui, en définitive, ne mérite pas mieux qu’un éclat de rire, mais le mérite pleinement. »(3)

 

 

 

La fête de l’insignifiance, Milan Kundera, Paris, Gallimard, mars 2014.

Gwenaelle Ledot.


(1) M. Kundera, Le livre du rire et de l’oubli, Paris : Gallimard (Du monde entier), 1979 - Nouvelle édition revue par l’auteur en 1985 / Gallimard (Folio), 1987. 
(2) M. Kundera, La vie est ailleurs, Paris, Gallimard (Collection Blanche), 1973 - Nouvelle édition en 2008
(3) François Ricard, Postface de La vie est ailleurs

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