Camille Laurens, Les fiancées du Diable. Enquête sur les femmes terrifiantes
Noli me tangere.
Une problématique universelle portée par Camille Laurens se déploie dans ce flamboyant ouvrage d’art et d’histoire : l’éternel féminin, en origine du monde et origine du mal ? Une interrogation déclinée sous forme picturale et littéraire, de l’Antiquité au vingt-et-unième siècle : d’Eve à Lilith, projections fantasmatiques et provocations existentielles questionnent naissance, mort, destinée humaine :
« La Femme ?
J’en sors,
La mort
Dans l’âme… »[1]
Fin de siècle et peinture décadente multiplient les provocations : femme-serpent (de Franz von Stück), femme chauve-souris (Pénot), femme-araignée (Kubin). L’horreur du féminin, à son comble, a rarement été aussi explicite : le danger est palpable, mis en images et en mots. Les mystères supposés et les menaces sourdes sont métaphorisés et peints : allégories de Félicien Rops, sonnets de Baudelaire façonnent une créature projetée par le désir, captivante et mortifère.
L’enquête de Camille Laurens requiert de croiser Simone de Beauvoir aussi bien que Freud ou Virginie Despentes : comment expliquer ce rapprochement peint, écrit, sculpté, entre la femme et l’élément primitif ? L’être animal ainsi associé au féminin semble « hanter l’imaginaire et les représentations depuis l’Antiquité, et ses avatars sont innombrables ».
Judith et Salomé entrent dans une danse séduisante et macabre. Puis Dalila, Circé, Morgane. Femme-sirène chez Chagall. Sabbat des sorcières chez Goya. La fille terrifiée devenue femme terrifiante, stigmatisée par une peur ancestrale et un rejet primitif. La danse continue : de Mérimée à Bukowski, la femme est ensorceleuse, et l’ensorceleuse vouée à la mort.
« L’homme se défend contre la femme en tant qu’elle est source confuse du monde et trouble devenir organique. » résume Simone de Beauvoir.
Captivants trésors iconographiques, enchantement irrésitible de formes et de couleurs, qui cachent une vraie misère idéologique : identification hâtive de ce qui peut être « l’Autre » (Autre de l’homme ? Autre de l’humain ?), rejet, angoisse et condamnation.
Les Fiancées du Diable. Enquête sur les femmes terrifiantes, de Camille Laurens. Editions du Toucan, 2011.
[1] Jules Laforgue
Gwenaëlle Ledot
[1] Jules Laforgue