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Posts tagged: christian oster

Christian Oster, La Vie automatique

By admin, 25 juin 2017 17:48

Horla ?

Une maison brûle : le narrateur, au lieu d’appeler les secours, temporise et regarde. A l’extérieur de sa maison, et à l’extérieur, semble-t-il, de lui-même. Spectateur de sa vie, hors, là… « C’est cette passivité qui comptait, dans laquelle je m’étais réfugié, ou investi… »
Résolument investi dans le néant, il se rend à Paris et s’installe à l’hôtel. Impliqué modérément dans ses rôles de comédien, il retrouve sur un tournage une actrice autrefois célèbre, France Rivière, qui l’invite chez elle. Là, il comprend que sa présence est requise par la surveillance de Charles, le fils de son hôte, atteint d’une mystérieuse pathologie psychiatrique, sur laquelle il échafaude quelques hypothèses plaisantes :


« Une sorte de tropisme, en somme. Quelque chose comme du japonisme. La manie, à tout moment, et de façon parfaitement inopinée, de s’envoler pour le Japon. Réflexe onéreux, pathologie lourde. Et moi ? »
Un voyage au Japon en compagnie de Charles constitue donc une nouvelle translation, sans plus de sens manifeste que les précédentes. Puis reprennent les tournages. Les scènes, décrites avec minutie et un humour subtil, illustrent le doute hyperbolique qui frappe les personnages :
« … en réalité on travaillait ensemble sur des vies qui n’étaient pas les nôtres, en tentant de les approcher comme si c’étaient les nôtres mais sans rien dévoiler de ce qu’étaient les nôtres, peut-être parce qu’en les dévoilant on aurait vu qu’elles ne nous appartenaient pas tout à fait non plus. »
Au « trou noir » du passé s’oppose la surface blanche et lisse du présent, mimée par des mots qui n’absorberont rien… Ces mots, comme de petites perles, tissent une vie ténue, suspendue au fil têtu de la plume :
« Jusqu’à preuve du contraire, c’est moi le fou. »

Christian Oster, La Vie automatique, éditions de l’Olivier, février 2017.

Gwenaëlle Ledot.

Christian Oster, Le cœur du problème

By admin, 14 septembre 2015 9:21

Le dernier protagoniste de Christian Oster, un conférencier prénommé Simon, découvre un cadavre dans son salon. Sa compagne Diane quitte les lieux après avoir vraisemblablement tué l’homme (son amant ?) et part pour Londres. Le lecteur s’interroge, pas très longtemps d’ailleurs, avec le héros : pourquoi ce crime ? Et que peut-on faire de ce corps supplémentaire ?
L’ironie informe et soutient le texte : dans la vie, résolument quotidienne, de Simon, les tomates ne poussent pas ; les artisans n’envoient jamais les devis ; les rendez-vous de travail sont improductifs, l’éclairage municipal sous-budgétisé et l’accès à Ikéa très incertain. Le tragique et l’incompréhensible se dissolvent dans une routine insistante et des gestes automatisés. « On a beau faire. Un étranger, définitivement. »
Comment toucher « le cœur du problème » ? Le circonscrire ou tourner autour du pot ? Simon vit les petites choses de sa vie, espérant très vaguement quelque lumière. Le corps mort, tel une pièce de puzzle égarée, s’intègre imparfaitement à son quotidien. Il n’est jamais certain que ce cadavre soit la cause de l’entropie. Seulement le premier suspect, tel l’insecte de Kafka. Le monde avait-il davantage de sens avant ce corps absurde ?
Car « on fait parfois des choses incompréhensibles, n’est-ce pas ? » Paul, son meilleur ami, et Henri, gendarme à la retraite, promènent également leurs paradoxes, leurs histoires incertaines et biscornues dans un monde incomplet.
Un monde incomplet pour un nouveau Gregor Samsa : ce corps paradoxal ne manifeste rien d’autre que le vide. Et Simon, cerné de ces diverses silhouettes, restera seul : « La vie ne ressemble pas à grand-chose. »

Christian Oster, Le Cœur du problème, Editions de l’Olivier, août 2015.

Gwenaëlle Gibert-Ledot.


Christian Oster, Le cœur du problème, p. 94.

Christian Oster, En ville

By admin, 13 janvier 2013 8:55

« A moins qu’il ne se fût agi d’une mousse… »

 

Quatre personnages masculins évoluent dans le dernier roman de Christian Oster : Georges, Paul, William et Jean (le narrateur). En 2008, les héros incertains de Trois hommes seuls étaient en partance. Dans le nouvel opus, ils restent. Et caressent sur une centaine de pages un projet plutôt flou de vacances en Grèce.

L’essentiel est ailleurs, ou nulle part. Dans la délicieuse insignifiance qui aplanit l’horizon romanesque ; l’écriture pose dans cet espace quelques personnages, « flous » eux-mêmes, et de petites choses qui envahissent. Ainsi, la première scène du roman est saturée, curieusement, par un dessert : « le gâteau, lui-même éventuellement mou, avec de la crème, à moins qu’il ne se fût agi d’une mousse, avec cette manie qu’ils ont tous maintenant de faire des mousses ». Plus loin, les pensées du narrateur circonviennent un panorama parisien, l’envisagent à l’infini, l’effleurent : « Je me suis demandé cette fois si ça m’intéressait d’avoir la Seine dans mes fenêtres, et je n’ai pas su, j’aurais eu besoin de parler à quelqu’un, je crois, à quelqu’un qui ait eu une opinion sur la Seine, sur l’intérêt de vivre avec une vue sur la Seine… »

Jean travaillant dans l’édition avec un auteur astrophysicien, son existence professionnelle se trouve ponctuée par l’irruption inattendue de la planète Saturne : « Tout était compliqué dans le système solaire, et au-delà aussi, bien sûr, et, comme il en était à Saturne et qu’il avait des soucis d’ordre privé, il bloquait sur Saturne, mais Saturne n’y était pas pour grand-chose. » La vie personnelle de Jean ne sera pas exempte de rebondissements et de drames, traités sur un mode identique : caresser l’existence, fluide, avec un désespoir, ou un non-espoir absolu qui n’empêche pas le sourire. Ecriture aérienne et, dans les douleurs mêmes, insoutenable légèreté d’une mousse littéraire.

« Moi, je préférais surmonter les choses. De toute façon, comme tout le monde, je n’avais pas le choix. Je croyais beaucoup à la distraction, à la lecture, au cinéma. La philosophie ne m’avait pas aidé. »

Concentré d’existence émulsifié, où le drame reste à la surface. Sans autre choix.

 

En ville, Christian Oster, Paris, Seuil, 2013.

Gwenaëlle Ledot.

Des écrivains de minuit

By admin, 1 janvier 2010 11:39

Jean Echenoz, prix Goncourt 1999 pour Je m’en vais, vient de publier aux éditions de Minuit un roman biographique sur le coureur tchèque Émile Zatopek : Courir.

Étranges romans où les faits ne sont qu’un arrière-plan, où la vie devient simple décor. Chez Jean Echenoz, les personnages sont les mots. Émile, Chopin ou Salvador passent leur vie glissant, sans fin, sur les phrases de leur auteur.

Doucement ironique, l’écriture s’attarde sur un système velcro et un nez busqué ; volette d’une carte routière à une mouche violette. Un monde s’anime, précis et éthéré, piquant, léger ; un monde d’entomologiste, empli de flux rapides, de courants évanescents. Les personnages sont traversés par la vie, décidément plus forte qu’eux, et traversés par les mots. Habités par une odeur de chlore et un parfum de citron, absorbés éventuellement par une chevelure blonde, croisant des « phosphatines fantomatiques ».

L’ironie est partout présente, délicieuse et fluide ; partout, jusque dans l’existence étrange des Grandes Blondes (1995): « Précipiter un homme dans le vide étant de ces choses qui vous feraient oublier de vous démaquiller ». Le vide cotonneux et doux de la réalité permet toutes les fantaisies de l’écriture : « Donatienne se distingue par le port de vêtements surnaturellement courts et miraculeusement décolletés, quelquefois en même temps si courts et si décolletés qu’entre ces adjectifs ne demeure presque plus rien de vrai tissu. »

Petites bulles en plastique ou bulles de varech, l’écriture soufflée glisse et disparaît. Ses métaphores se multiplient : « Un vent électronique indifférencié, monochrome et lisse, tiède et sourd. » Un titre de roman : « How to disappear completely and never be found ». Ou bien le sommeil encore : « Écharpe grise, écran de fumée, sonate. Vol plané d’un grand oiseau pâle, portail vert entrouvert. Plaines. »

En cet automne 2008, le style d’Echenoz s’est incarné dans un homme, un homme qui court : Émile Zatopek, athlète de légende, est le héros de son dernier roman. Il court, et le style comme lui, épuré, volant vers l’essentiel. Émile, émouvant de simplicité, court sa quête tragique et banale, qui l’emmène ailleurs ; la banalité, toujours affleurant, dément les moments de grâce, les moments de course, de victoire. En contrepoint, l’Histoire, celle de la Tchécoslovaquie de l’époque communiste, la dénonciation et la terreur ignorée de l’Occident. L’amertume et l’obscurité soulevées, peut-être, par la grâce de l’écriture.

 

Christian Gailly ou la substance de l’absent. Le dernier roman de Christian Gailly est placé, dès l’épigraphe, sous l’égide de Beckett : « C’est tuant, les souvenirs ». Beckett, ou la non-communication érigée en principe dramatique. La folie de ceux qui, intarissables, voudraient, désespérément, converser :
« Toutes les voix mortes
Ça fait un bruit d’ailes
De feuilles
De sable. De feuilles. »

Et, chez Gailly, l’insignifiance érigée en principe narratif. Les personnages n’y sont plus rien ; ils sont là. Tout juste, encore. Les mots aussi s’en vont ; les phrases souvent nominales, peu apparues. La prose tente simplement de concurrencer le Rien. Pas si simple. Ou concurrencer Beckett. Pas simple, décidément. Là est pourtant la gageure : porter des destins parfois tragiques, parfois drôles, toujours accidentés. Il s’agit ici pour deux journalistes, nommés Brighton et Schooner, d’aller à la rencontre d’artistes oubliés du grand public. Des artistes dont, parfois, dans le souvenir, il ne reste rien. Écrire l’histoire de vides qui se succèdent. « Non, monsieur, dit Brighton, ça ne s’appelait pas Les Oubliés, ça s’appelait Que sont-ils devenus ? Mais vous avez raison, monsieur. Oui, vous avez raison. Les Oubliés c’est mieux. Plus parlant. Plus émouvant. »L’un des deux journalistes meurt ; bêtement, bien sûr : « Il ne reste rien de Paul Schooner. La goélette s’est évaporée. »Ce tragique-là est aspiré tout entier par l’insignifiance ; par l’ironie. Celle qui accompagne, en contrepoint délicieux, les trajets perdus de nos Vladimir et Estragon : « Si tu dis non nous risquons d’en mourir tous les trois. Brighton : N’exagérons rien, mais bon, pourquoi pas ? Allons-y comme ça. On verra bien. » On a parlé de la petite musique de Christian Gailly. Je dirais plutôt un bruit de feuilles. De sable. De feuilles… 

 
 
 

Un autre écrivain de Minuit, Christian Oster, a publié des ouvrages de littérature de jeunesse, séduisants de vivacité et de fantaisie, et des polars, pour les éditions Fleuve Noir. Ses romans sont salués par la critique, dont Mon Grand Appartement, prix Médicis en 1999.

On évoque volontiers son art de la digression, mais aussi une extraordinaire dilution du temps psychologique qui le rapproche irrésistiblement de l’inspiration proustienne. Les atermoiements des personnages deviennent vite ludiques : « Je mettais rarement mes clés dans une poche. Je les rangeais plutôt dans ma serviette. Mais j’avais, quelque part, oublié ma serviette. Or, jusque-là, je n’avais jamais égaré ma serviette. C’est ce qui m’avait arrêté, devant ma porte. »Le héros de Mon Grand Appartement, aux prises avec la perte conjointe de cette serviette et de sa compagne, la récurrente Anne Lebedel, agace et amuse par ses circonlocutions autant que par son introspection entêtée. Ses tentatives de construire une existence, d’abord velléitaires, font naître quelques dialogues réjouissants : « Tu es marié ?… Non, pas spécialement. Comment ça, pas spécialement ? »Christian Oster évoque une vérité de l’existence, celle qui confine à l’insignifiance et au doute ontologique : « Et encore, elle ne me vit pas tout de suite. Puis elle ne crut pas que ce pût être moi. Je le compris. Elle avait toujours eu du mal, elle aussi, dans son genre, à croire à ma présence. C’est moi, fus-je obligé de dire, pour y croire, moi aussi, à ma présence. »

 Le narrateur, qui brille par sa transparence à la vie, affiche la conviction que son existence frôle l’hypothétique. Serge Ganz, le narrateur de Trois Hommes seuls, paru en septembre 2008, porte une identité pareillement vacillante. Cerné lui aussi par la prégnance d’objets résolument insignifiants. Réminiscence de Ionesco peut-être, dont on devine que l’univers n’est pas étranger à celui construit par Oster, une chaise se fait particulièrement encombrante, et accompagne en signe de non-sens absolu le trajet de trois hommes vers la Corse. Le non-choix étant une option permanente pour ces trois-là, le voyage se mue vite en balbutiement affectif et existentiel.  Le pari, réussi, de Christian Oster est de maintenir un équilibre de funambule entre une trame narrative légère mais convaincante, et un sentiment de l’absurde qu’il caresse sans jamais lui céder tout à fait.   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       

 

 

Courir, Jean Echenoz, éditions de Minuit, octobre 2008, 142 p., 13,50 €.
Les Oubliés, Christian Gailly, éditions de Minuit, janvier 2007, 141 p., 13 €.
Trois Hommes seuls, Christian Oster, éditions de Minuit, septembre 2008, 174 p., 13 €.

 C’est à lire

 

Le 15 Janvier 2009, par Gwenaëlle Ledot

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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