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Posts tagged: le parieur

Alexis Salatko, Le parieur

By admin, 20 octobre 2012 14:18

Jolie ma bouche et verts mes yeux.

  

« Absurde était le hasard qui nous avait réunis, et bien cruel le marionnettiste qui s’amusait à nous faire trébucher ». Le dernier roman d’Alexis Salatko se lit comme un écho lointain et persistant du mythique Salinger. Il y a là deux individus égarés, l’un et l’autre suicidaires. L’homme, Axel Ribolowski, se définit comme un artiste raté ; elle, Marie-Angélique, a des secrets. Leurs premiers mots échangés, entre la neige de décembre et la bruine du Cotentin, sont surréels.

« La rencontre d’une femme déprimée et d’un homme au bout du rouleau un soir de Noël… »

Cette rencontre initiale fait surgir quelques images autobiographiques et auto-référencées : un balcon au bord du vide, un tigre de papier et Horowitz… Vie et œuvre de Salatko. Jusqu’à sa rencontre fameuse avec le cinéaste Roman Polanski, qu’il met en scène.

L’auteur s’amuse de lui-même, comme « jeune romancier à succès», écrivain naïf en pleine ascension. L’artiste cherbourgeois qui voulait croire (et pouvait écrire sérieusement) que « le crachin c’est du soleil qui mouille ». Le texte aujourd’hui dessine la Normandie en vingt-deux nuances de gris. Un gris velours, gris iodé, où renaissent les brumes de Lessay et L’Ensorcelée, la silhouette de Barbey ; l’atmosphère fascinante et lourde du Cotentin.

Puis la mémoire de son père entraîne le roman de Salatko sur un versant policier, vacillant. L’essentiel est ailleurs, au bord du vide peut-être, où la vie et l’écriture doucement se mêlent.

 

Le parieur d’Alexis Salatko, Fayard, août 2012.

Gwenaëlle Ledot

 

Alexis Salatko, Céline’s band

18 juillet 2011 13:37

Plume non recommandable.

« Existe-t-il d’autres véritables réalisations de nos profonds tempéraments que la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar ?

La grande fatigue de l’existence n’est peut-être en somme que cet énorme mal qu’on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c’est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d’avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu’on nous a donné. » (Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit )

Difficulté d’écrire Céline, d’écrire sur Céline. Haïr l’antisémite, le xénophobe, et célébrer le Voyage au bout de la nuit : « T’ouvres Le Voyage et t’es happé… En trois lignes, Céline est là, il s’adresse à toi, il te parle dans la tête, il s’introduit dans ton système nerveux, il te raconte son histoire qui devient ton histoire, si tu t’avises de lui résister, il t’écrase du talon… »

Alexis Salatko écrit Céline’s band, roman biographique captivant, sur une vie dévorée et errante. « Céline, es-tu là ? » Dans une existence vouée à l’écriture, retracer l’un des cercles de l’Enfer…

« L’écriture le rongeait. Au fond, il n’y avait que ça qui comptait, les mots, les visions qu’il portait sur le papier avec infiniment de patience et de souffrance, tournant le dos à tout ce qu’il aimait. »

Salatko devient chasseur d’apocalypses. Style étincelant au service d’une sombre épopée. Pose la question implacable, primaire : « Pourquoi Céline avait-il si mal tourné ? » Fouille la question lycéenne, naïve, lancinante : « Comment l’écrivain du vingtième siècle qui avait le mieux parlé de l’homme du vingtième siècle pouvait-il passer pour le pire des hommes ? »

Et martèle l’interrogation des lecteurs de Céline, devant l’horreur du pamphlet Bagatelle pour un massacre. L’incompréhension devant cette diatribe hallucinatoire et haineuse. Irrécupérable, irrattrapable.

Signe d’un mal d’époque ? Alliance hideuse et banale de la littérature et du Mal absolu :

« Ruée frénétique de l’art vers le giron totalitaire. Le surréalisme au service de la Révolution. Eluard chantant Staline en alexandrins. Aragon célébrant la Tcheka. Antonin Artaud dédiant ses Nouvelles Révélations à Hitler. »

La cécité idéologique des artistes : criminelle, impardonnable, humaine.

Accepter ce paradoxe ; le disséquer à l’infini, comme le fait Salatko. Le creuser et fouiller sa chair, au scalpel. Comme le faisait Céline :

« Quand on sera au bord du trou, faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu’on a vu de plus vicieux chez les hommes, et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière. » (Voyage au bout de la nuit)

Alexis Salatko, Céline’s band. Editions Robert Laffont, mai 2011. 18 euros.

Gwenaëlle Ledot.

 

« Il est temps de lire Alexis Salatko. » (1)

 

Horowitz et mon père, chef-d’œuvre d’Alexis Salatko publié en 2006 chez Fayard, a été récompensé par le Prix Jean Freustié et le Grand Prix Littéraire de la ville de Caen. En 2008, l’auteur fait le choix d’un long récit, tout entier consacré aux fileurs d’or, moufletiers, marcheurs de pâtes et hommes de four : une fabrique de porcelaine en 1847. Ville de porcelaine, ville de bourbe, Limoges y apparaît, médiévale, laborieuse et alcoolisée. L’itinéraire de Marc Dubreuil nous est conté par sa fille China, dont l’histoire s’entrelace à la sienne. Une rencontre, qu’on dirait rêvée, avec Camille Corot change le destin de l’enfant chétif. Le peintre, « voleur d’ombre et de lumière », donne à Marc la force d’échapper à l’enfer de la tannerie et à son bourreau Sophocle, surnommé Le Cyclope : dernier avatar de tous les Rois des Aulnes qui parcourent en prédateurs l’œuvre de Salatko. « Le privilège des bâtards n’est-il pas de pouvoir se choisir un père parmi les hommes que le hasard place sur sa route ? »

Le monde terreux de Marc voit se détacher soudain la finesse des fils d’or. Initié aux couleurs des maîtres chinois et aux contrastes de Rembrandt, Marc affine son art et devient le « peintre-fleur ». Son épouse Luna se fait muse orientale, China à son tour convoque Botticelli et Ruysdael. Jusqu’à la « mort en pleine vie » de Marc Dubreuil, l’on voit Salatko poursuivre en trait filigrané sa rêverie maîtrisée sur la création, art et artisanat. « Harmonie des mouvements, expression de la réalité, concordance des tonalités, respect de la composition, copie des grands maîtres. » Fresque romanesque, dit-on ? Art poétique sans nul doute.

 

 

Alexis Salatko, China et la grande fabrique aux éditions Fayard, janvier 2008. 20 euros.

 

(1) Patrick Besson dans l’hebdomadaire Marianne, à propos du roman Horowitz et mon père, publié en 2006 chez Fayard.

Gwenaëlle Ledot

 

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